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Nawaratex et Sohetex, ou comment se tisse l’étoffe du succès

Mashrou3i

L’une des plus anciennes industries du monde, la fabrication textile, emploie plus de 60 millions de personnes dans le monde. Le programme Mashrou3i, lancé en Tunisie par l’Organisation des Nations unies pour le Développement Industriel (ONUDI), se révèle comme une véritable aubaine pour le secteur, à travers une assistance technique pointue, apportée aux entrepreneurs des régions de l’intérieur, pour créer de l’emploi et prêter main-forte à l’entrepreneuriat. Parmi eux, Abdelaziz Helali et Fatma Hassine, deux jeunes entrepreneurs, semblent dessiner les contours d’une véritable épopée dans les régions de Kasserine et de Siliana.

À Siliana et Kasserine, Fatma et Abdelaziz ont réussi à se frayer un chemin parsemé de promesses et de défis. Mais si un mérite doit leur être reconnu, c’est bien celui d’avoir percé dans la rugosité de la Tunisie profonde donnant tout son sens à la maxime “rien n’est impossible quand on ose exécuter tout ce qu’on a osé vouloir” (Xavier de Montépin).

Fatma Hassine est la fondatrice de Nawaratex, une entreprise spécialisée dans la création et la confection de linge de maison et de pulls personnalisés, qu’elle vend aux particuliers, et la sous-traitance de tabliers pour les écoles et les crèches, et implantée au centre-ville d’une des délégations les plus élevées du pays, Makthar. De son côté, Abdelaziz Helali a créé Sohetex, une entreprise confectionnant des vêtements en coton et des jeans, dans le gouvernorat de Kasserine.

Ils ont tous deux participé au programme Mashrou3i. Fruit d’un partenariat public-privé, le programme est mis en œuvre par l’ONUDI, soutenu par le gouvernement tunisien, et financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), la Coopération Italienne et HP Foundation.

Mashrou3i, pierre angulaire d’un parcours truffé de succès

De fait, le secteur du textile et de l’habillement traverse de grandes difficultés, conséquence d’une compétitivité de plus en plus fragile, d’une absence de stratégie, et d’une compétition rude et féroce. La Tunisie reste largement dépendante des marchés internationaux pour son approvisionnement. Elle importe près de 80% de la quantité totale de fournitures et tissus. L’activité habillement (vêtements et bonneterie), à l’origine de l’accroissement des recettes des exportations et des emplois, se cantonne encore à la sous-traitance.

L’activité textile (filature et tissage) est contrainte d’importer massivement des tissus, fils, accessoires, et autres produits de finissage pour la fabrication. La migration vers d’autres activités à plus forte valeur ajoutée reste limitée à une minorité d’entreprises qui ont opté pour le passage de la sous-traitance à la cotraitance et au produit fini. A quoi s’ajoute la rudesse de l’environnement social et économique dans une grande partie du territoire tunisien, résultante de la marginalisation spatiale de plusieurs régions du nord, du centre et du sud, à l’intérieur du pays.


Les deux entreprises ont été suivies de près par les experts du programme Mashrou3i pour réussir leur lancement et assurer leur viabilité. Le projet de Fatma a officiellement pris forme en novembre 2017 mais elle ne débutera son activité qu’en mai 2018, à Makthar dans le gouvernorat de Siliana. Conséquence si bien connue d’un circuit administratif éreintant, jonglant avec les périodes d’hibernation de l’administration, Ramadan et la saison d’été.

Grâce à l’assistance et aux nombreuses interventions sur terrain de l’équipe Mashrou3i, Fatma a pu consolider sa stratégie marketing et communication, développer ses connaissances en fiscalité et en management, se familiariser avec les procédures administratives, et accéder au financement bancaire. “Quand il y a des contretemps, les experts n’hésitent pas à intervenir pour accélérer le processus.

Ils sont très réactifs et ça porte toujours ses fruits”, témoigne Fatma. A travers les formations approfondies du programme Mashrou3i, elle a réussi à monter et parfaire sa stratégie marketing lui permettant, aujourd’hui, de couvrir l’ensemble du territoire. Actuellement, la jeune entrepreneure manie à la perfection les réseaux sociaux (instagram et facebook). Le porte-à-porte est également un canal infaillible, qu’elle maîtrise grâce aux acquis cumulés à travers le programme.

De son côté, Abdelaziz, qui a lancé Sohetex en 2015, fournit exclusivement Benetton. Il se dit chanceux d’avoir bénéficié des sessions de formation en comptabilité, en finance, et en gestion courante de l’entreprise, ainsi que des rencontres organisées avec les parties prenantes des structures d’appui. Par ailleurs, les diagnostics de l’entreprise menés par les experts du programme Mashrou3i ont donné lieu à des sessions de formation en chronométrage, assistance technique en production et en qualité, qui ont permis l’optimisation sans précédent des chaînes de production et l’amélioration de la qualité et de la productivité.

Grâce à un saut qualitatif acquis à travers le programme Mashrou3i, l’entreprise continue aujourd’hui, en toute aisance, son bout de chemin. Employant actuellement 82 personnes, Abdelaziz vient de lancer sa propre marque, et s’apprête à conquérir le Mexique et la Russie d’ici le début de l’année 2019, en commercialisant des produits finis à base de coton. “La création d’articles finis n’est pas du tout évidente en Tunisie. Mais on avance petit à petit, avec les moyens du bord”, déclare Abdelaziz entre modestie et hardiesse.

Leurs ambitions rayonnent sur leur communauté

A travers le projet Nawaratex, les jeunes filles issues du centre de formation à côté duquel est implantée l’entreprise ont la possibilité de conjuguer formation et travail sans avoir à parcourir des kilomètres et à défier l’autorité familiale. “Le problème dans cette région de la Tunisie, comme vous le savez, est qu’on ne permet pas aux filles de partir loin du domicile pour travailler. Nawaratex est donc une opportunité pour elles d’étudier et travailler en même temps”, nous témoigne Fatma.

De même, Abdelaziz contribue directement à créer de l’emploi dans sa région, mais aussi à former et ouvrir des horizons aux nouveaux diplômés de l’enseignement supérieur : “Étant donné la rareté de la compétence, nous formons nous-mêmes la main-d’œuvre sur les process de production et les exigences qualité.”

Fatma et Abdelaziz comptent bien participer à la valorisation et au développement de leur région. Créant une dynamique locale, la contribution de leur projet à leurs communautés respectives est sans conteste.

Leur succès apporte un nouveau souffle au secteur du textile : “Les gens sont fiers, Nawaratex crée de l’espoir, une énergie positive qui m’encourage à persévérer”, nous annonce Fatma. Elle projette très bientôt d’investir les métiers de l’artisanat et la tradition textile avec un design moderne. Avoir un impact social important sur sa communauté en intégrant la culture locale est le précepte qui éclaire son chemin : “Je compte faire travailler les femmes qui confectionnent l’artisanat à Makthar, nous avons beaucoup de potentiel ici, et je veux encourager l’artisanat local”.

Employant actuellement 15 personnes, et après 4 mois d’exercice, et avec le renforcement de son parc machines, elle projette d’agrandir son équipe. Son souhait le plus cher est de faire de sa marque l’emblème de la région, et que Siliana soit réputée pour la qualité de son textile.

La voix de la raison

Fatma a pour conviction profonde que l’un des freins majeurs à l’éclosion de grandes marques tunisiennes ce sont les habitudes de consommation du Tunisien, qui n’encouragent pas le produit local. “En Tunisie, le secteur se limite beaucoup à l’importation de la matière première, qui est ensuite exportée, puis réimportée à des prix élevés.

« Il faut qu’on encourage une nouvelle mentalité, consciente de l’enjeu de fabriquer des produits finis, et à ce niveau, la prise de conscience des consommateurs est extrêmement importante. En achetant un produit tunisien, le citoyen acquiert plus qu’une valeur matérielle, il contribue à dynamiser le secteur, et qui plus est, toutes les importations ne sont pas forcément de meilleure qualité que le produit tunisien.

Il faudrait considérer, à cet effet, l’exemple de la Turquie ! », assène-t-elle. Pour cette passionnée de création textile, aujourd’hui la vraie garantie de survie des entreprises textiles tunisiennes est de pouvoir vendre un produit fini, “made in Tunisia”, avec le maximum de matières premières produites localement.