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EMEA: la méditerranée a besoin d’un modèle de développement transparent, responsable, inclusif et durable

Depuis l’aube des temps, les deux rives de la Grande Bleue ont connu des phases de confrontation. Il est temps de tourner la page et de créer un nouvel ordre, celui de la coopération et de la prospérité partagée. Un rêve utopique ? Pas selon Rym Ayadi, présidente de l’Association des économistes euro-méditerranéens (EMEA), directrice du réseau euro-méditerranéen des études économiques (EMNES) et professeur à la CASS Business School à Londres, et Carlo Sessa, membre du directoire de l’EMEA et membre associé de l’EMNES. Les deux économistes ont en effet publié une étude, intitulée Blue Transition Policy Roadmap, Towards Transparent, Responsible, Inclusive and Sustainable (TRIS) Development in the Mediterranean, qui propose un nouveau modèle de coopération entre les deux rives de la Méditerranée. Focus.

Les décennies de partenariat euro-méditerranéen “n’ont pas tenu la promesse de parvenir à la stabilité et à une prospérité partagée”, selon les auteurs de l’étude. Car, au cours des décennies qui ont précédé les soulèvements arabes de 2011, “la région n’est pas parvenue à accomplir le potentiel de croissance économique et à créer les conditions pour l’émergence de chaînes de valeur régionales”. Cet échec appelle donc à repenser les cadres de coopération et les schémas d’intégration pour tenir compte de l’émergence de chaînes de valeur régionales et de la création d’une politique industrielle euro-méditerranéenne. Cependant, il est essentiel que les développements régionaux dans la région méditerranéenne s’inscrivent dans le cadre du “contexte de la mondialisation, des tendances de la digitalisation et de l’automatisation, des perspectives et de prendre en compte les impacts des chocs externes, tels que la pandémie mondiale de Covid-19”.

De la R&D pour répondre aux problématiques locales

La coopération dans le domaine de la science, la technologie et l’innovation entre les pays européens et ceux des rives Sud et Est de la méditerranée (PSEM) n’a jusqu’à présent pas eu d’impact réel sur le développement économique des pays partenaires méditerranéens (PPM). Ce n’est pas seulement parce que les PPM occupent une place marginale en termes d’allocation financière, mais c’est parce que le passage de la recherche à l’application des connaissances, d’une manière qui pourrait transformer les économies des PPM et améliorer leur stabilité à long terme, n’a pas suivi. Pour remédier à cela, les experts recommandent de remanier l’écosystème STI pour créer un environnement propice qui puisse établir et renforcer les liens entre la recherche et les entreprises.

Cet écosystème devrait encourager le secteur privé, en incitant les entrepreneurs à investir dans la recherche et le développement. À cette fin, les pays des rives Sud et Est de la méditerranée devraient emboîter le pas aux États membres de l’UE en adoptant des stratégies de spécialisation intelligente. “Il s’agit d’une approche géographique et contextuelle qui s’appuie sur les atouts, les ressources et les particularités des différentes régions et sur leurs défis socio-économiques spécifiques, afin d’identifier des opportunités uniques de développement et de croissance”, expliquent Ayadi et Sessa.

Les PSEM devraient également adopter une vision plus large de l’innovation, en soutenant l’innovation technologique, ainsi que l’innovation fondée sur la réalité sociale, recommande les deux économistes. Aussi, il faut encourager le développement d’une innovation inclusive. Celle-ci doit faire émerger des technologies appropriées au contexte local pour relever les défis sociétaux pressants à la fois dans les zones rurales et urbaines. Sans oublier d’élaborer et de mettre en œuvre une politique industrielle robuste axée sur des secteurs stratégiques sélectionnés, offrant des avantages comparatifs et concurrentiels à l’économie. Il a même été recommandé de sanctionner les acteurs du secteur privé non performants. Cette politique, soulignent les auteurs de l’étude, servirait à attirer les fonctions de R&D des multinationales grâce à des incitations fiscales et autres.

Formation orientée STEM … à la sauce méditerranéenne

“L’accent devrait d’abord être mis sur le développement de la capacité d’apprentissage, puis sur la capacité d’innovation”, lit-on dans le document. Il est aussi essentiel de modifier les accords de libre-échange avec les PSEM pour permettre une certaine protection des secteurs industriels stratégiques jusqu’à ce qu’ils puissent être intégrés dans les chaînes de valeur mondiales dans de meilleures conditions.

Quant aux systèmes éducatifs, il est important de procéder à une amélioration à tous les niveaux, en encourageant l’enseignement des STEM (Science Technology Engineering and Mathematics) et en reliant l’enseignement au marché du travail. Une attention particulière devrait également être accordée à l’éducation interdisciplinaire et, en particulier, aux compétences promettant l’employabilité future, à savoir le renforcement de la créativité et des capacités de réflexion critique. L’apprentissage tout au long de la vie et la formation en cours d’emploi devraient être encouragés, soulignent les experts. À cette fin, ils proposent la création d’un “centre d’apprentissage transdisciplinaire pour l’avenir de la Méditerranée”. “Il ne s’agit pas d’une nouvelle infrastructure”, rassurent-ils, “mais plutôt d’un réseau de laboratoires pour co-créer des connaissances et des solutions de prototypage pour la mise en œuvre des objectifs de développement durable en Méditerranée”.

Ce centre peut être considéré comme une plaque tournante, reliant les équipes existantes de chercheurs et d’autres parties prenantes. Il peut offrir une formation en ligne et hors ligne (telles que les écoles d’été) pour une gamme de méthodes à appliquer dans les laboratoires locaux.

Un accès facile au financement

Les PSEM sont nettement moins développés relativement aux pays de l’UE-MED, avec une intermédiation financière dominée par le secteur bancaire et un rôle inexistant des marchés financiers, rappellent Ayadi et Cessa. Ce diagnostic cache tout de même de grandes disparités dans le niveau de développement financier entre les PSEM. La Turquie et Israël, par exemple, se distinguent de la Syrie, la Libye et l’Algérie vu que ces derniers affichent des niveaux de développement financier faibles.

“L’intermédiation bancaire dominante alloue des parts importantes de financement sur les actifs publics et liquides, conduisant à un faible accès des ménages et des micro, petites et moyennes entreprises (MPME) aux services financiers”, notent les auteurs de l’étude. Ayadi et Cessa proposent aussi de réduire les coûts des prêts en gérant le risque financier du pays et en réduisant les niveaux élevés actuels de prêts non performants. Ils appellent à l’urgence de parvenir à ce que la dette publique soit soutenable et que la politique monétaire arrive à assurer la stabilité financière et des prix. Le but étant de permettre une baisse des taux d’intérêt sur les prêts. En outre, les régulateurs et les fournisseurs de liquidité devraient s’attaquer aux niveaux élevés de prêts non performants accumulés dans les bilans bancaires. Pour ce faire, les deux économistes proposent, en première étape, de définir les prêts non performants au niveau national et de suivre leur évolution. Ensuite, il faut créer de “mauvaises banques ou des sociétés de gestion d’actifs” pour résoudre les problèmes d’actifs hérités afin d’améliorer la qualité des actifs des banques.

Ceci entraînera, à son tour, une augmentation de l’offre de crédit. En outre, “la législation sur l’insolvabilité et les systèmes judiciaires doivent être améliorés, ce qui réduit les coûts des prêts”, réclament Ayadi et Cessa. Aussi, il est important selon l’étude d’élargir l’accès à des services financiers abordables pour les MPME et les ménages en créant ou en développant des registres de crédit existants et en promouvant le rôle des systèmes de garantie pour les MPME. En effet, les registres de crédit réduisent l’asymétrie d’information et garantissent une plus grande transparence. Les systèmes de garantie, “lorsqu’ils sont bien conçus et fonctionnent bien”, permettent aux MPME d’emprunter à moindre coût pour croître et développer leur activité économique, résolvant en partie le problème de l’accès coûteux au financement, indiquent les experts. Aussi, il ne faut pas oublier que les frais de garantie doivent être suffisamment bas pour assurer la participation des prêteurs et des emprunteurs, mais suffisamment élevés pour couvrir les frais administratifs.

En appliquant ces recommandations, et bien plus, les auteurs de l’étude espèrent voir la nature de la coopération entre les deux rives de la Méditerranée dépasser le cadre classique pour une prospérité partagée.