Le système respiratoire n’est pas la seule victime de la propagation du Covid-19. Les entreprises sont aussi en pleine difficulté, même celles qui ont pu continuer à fonctionner. Comment ces firmes peuvent-elles agir pour atténuer l’impact de la crise sur leurs activités ? Dorsaf Bejaoui, Directeur Central Transformation Capital Humain à Tunisie Télécom, nous fait profiter de son expertise. Écoutons-là !
Comment schématiser cette crise ? Quelle est sa portée ?
Cette crise est sans précédent sur plus d’un niveau. D’abord, de par son caractère globalisé puis du fait de sa nature sanitaire impactant sur l’économique et le sociétal. Sans exagération, il s’agit évidemment de la crise la plus sévère qu’ait connu le monde moderne. En fait, cette crise est tellement sévère qu’elle a réduit, en l’espace de quelques semaines, les besoins d’une grande partie des humains à la couche de base de la pyramide de Maslow. Mais ce qui caractérise cette crise particulièrement c’est le niveau d’incertitude qu’elle a projeté. Car, à ce stade, il n’est pas possible de prévoir jusqu’à quand cette situation va perdurer, ni sous quelle forme sera la relance.
Dans ce contexte, comment les entreprises sont-elles appelées à se réorganiser ?
Cette crise a confirmé l’une des théories nouvelles du management : celle du monde VUCA. En effet, cette théorie stipule que nous vivons dans un monde ayant quatre caractéristiques clés : volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté. Ainsi, les entreprises qui ont mis en place des mécanismes qui leur permettent d’évoluer dans un tel environnement sont les plus préparées à faire face à cette crise.
Ces entreprises ont donc appris à s’adapter rapidement aux changements. Néanmoins, plus la taille de l’entreprise est importante, plus sa capacité à s’adapter reste limitée. Cela dit, les grandes entreprises peuvent bien évidemment se doter de mécanismes nécessaires qui leur permettent d’améliorer leur agilité et leur capacité à faire face aux changements. D’ailleurs, c’est grâce à ces mécanismes que Tunisie Télécom a pu s’adapter rapidement dans un contexte volatile, bien qu’il s’agisse d’une entreprise de plus de 6 mille employés.
Pouvez-vous nous préciser en quoi consiste ces mécanismes ?
Pour doter l’entreprise de l’agilité dont elle aurait besoin pour faire face aux changements, il est important de simplifier l’organisation et d’aplatir la hiérarchie. Une telle approche favorise plus la collaboration horizontale entre les collaborateurs qu’à travers la hiérarchie. Non seulement cela permet d’améliorer l’efficience, mais aussi de montrer aux collaborateurs l’importance de la réorganisation. Il est aussi essentiel de simplifier les process et de supprimer les tâches inutiles et sans valeur ajoutée. Le digital fait certainement partie intégrante de cette approche. D’abord, le digital donne accès à plusieurs outils de collaboration et de communication qui rendent plus simple et instantané l’échange d’information. Aussi, il permet d’automatiser les tâches les plus monotones ce qui permet aux employés de focaliser sur des tâches à plus haute valeur ajoutée.
À Tunisie Télécom, nous avons abordé dès 2018 un grand chantier qui nous a permis la mise en application de ces mécanismes. C’est grâce à ce programme de transformation que l’entreprise est aujourd’hui capable non seulement de faire face à la crise, mais aussi de jouer son rôle d’opérateur historique. Nous avons ainsi pu basculer instantanément au télétravail pour 60% de nos collaborateurs (hors métiers FrontOffice); nous avons déjà digitalisé plusieurs workflows et mis en place les outils de collaboration du digital Worksplace. C’est depuis une année que le travail de changement de culture a commencé. La mise à l’épreuve durant le confinement est un vrai succès.
Comment les entreprises peuvent-elle faire face à cette rapide évolution de la situation ?
Pour notre part, dès le décret du confinement, nous avons mis en place un plan de continuité des activités (PCA) et mobiliser les équipes critiques, notamment celles en charge du réseau, de l’IT, de la logistique, sécurité, du commercial, du RH… Ce sont ces filières qui pilotent quotidiennement la situation.
Nous avons également mis en place une cellule de crise qui siège tous les jours avec des comités interfonctionnels de suivi. Nous nous sommes également fixés quatre objectifs clés. D’abord, assurer la sécurité de nos équipes sur le terrain, notamment celles qui sont en charge du maintien du réseau, des services vente et après-vente, … Notre second objectif est de servir le citoyen tunisien. Ici, on ne parle plus de client car en tant qu’opérateur historique, nous avons un rôle national à jouer. Ensuite, c’est de continuer d’avancer sur les projets que nous avons démarré dans le cadre de notre plan stratégique.
Aussi, nous nous préparons déjà à l’Après-Crise. Car, évidemment, il n’y aura pas de retour à la normale : le mode de vie va changer, la manière dont nous travaillons va certainement être revue, … Nous sommes en train d’établir nos priorités pour être en mesure de répondre aux besoins du nouveau monde.
Enfin, un autre aspect très important, surtout durant une crise comme celle-ci : la communication interne.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
En ces temps difficiles, il faut maintenir un canal de communication en continu avec les collaborateurs. Ceci est rendu facile grâce au digital qui permet de s’adapter rapidement aux changements récurrents qui se sont passés les premiers jours de la crise. Cette communication rassure les équipes. Nous avons également utilisé nos canaux de communication interne pour rendre hommage aux équipes du terrain, mobilisés durant cette crise. Ici, nous avons publié leurs photos avec des messages de remerciement et d’encouragement. C’est très important de les motiver. La communication permet aussi de revoir le feedback des collaborateurs. Pourquoi c’est important ? Parce que l’actif principal d’une entreprise c’est son capital humain.
Justement, en ces temps de crise où les événements s’enchaînent, comment faites-vous pour détecter les besoins de vos collaborateurs, mais aussi vos clients ?
Nous avons mis en place une initiative, AskHR, à travers laquelle les collaborateurs peuvent poser leurs questions, par exemple, “Comment le service de l’assurance maladie peut continuer à fonctionner alors que l’assureur ne gère plus les demandes ?”. Il s’agit d’un agent digital à travers duquel l’équipe RH répond aux questions des collaborateurs. C’est ainsi que nous avons découvert l’engouement des collaborateurs pour le télétravail qui était une expérience réussie à Tunisie Télécom. Nous avons dans ce cadre une demande incessante de faire du télétravail un processus régulier, chose sur laquelle nous allons travailler.
Aussi, nous avons mis notre réseau de plus de 30 médecins de travail dans tous les gouvernorats à la disposition de nos collaborateurs. Aussi, et c’est très important, nous avons créé une cellule pour la santé mentale de nos collaborateurs, pour l’écoute sociale et la sécurité mentale. Bien évidemment, le partenaire social joue un rôle important. Nous avons mis en place un canal de communication fréquent durant cette crise. Leur rôle est important pour rassurer les collaborateurs, et les inciter à continuer à travailler malgré la crise, … C’est pour cela que nous nous réunissons, à distance, régulièrement avec les syndicats.
En ce qui concerne les clients, bien évidemment les réseaux sociaux jouent un rôle clé. Ce canal nous permet de cerner les besoins et de s’adapter rapidement, tel était le cas avec la campagne de Sayeb l’Internet.
Quelles sont vos recommandations et quels sont les pièges que les entreprises devraient éviter en temps de crise ?
Il est aujourd’hui clair que la transformation digitale est un must dans l’entreprise. Mais cette transformation ne doit pas commencer par l’acquisition de systèmes, une erreur que plusieurs entreprises font. D’abord, il faut mettre en place le cadre nécessaire pour réussir la digitalisation, notamment une organisation aplatie et des processus simplifiés. Il faut aussi bien préparer ses données qui doivent être fiables et refléter la réalité. La culture joue aussi un rôle très important. En effet, il a été prouvé par les trackers tels que Gartner et TM Forms que, pour 70% des entreprises, la culture et l’organisation sont le plus grand obstacle face à la transformation. Il faut aussi avoir les bonnes compétences en digital skills : les entreprises doivent faire appel à la reconversion professionnelle vers les nouveaux métiers du digital et en faire profiter ses équipes. D’un autre côté, ceci permet au collaborateur d’élargir ses connaissances, d’apprendre de nouveaux métiers et, de l’autre, à l’entreprise de profiter de ces nouvelles compétences pour la création de valeur. Bien évidemment, il ne faut pas attendre qu’on ait tous les prérequis pour commencer la transformation, ces changements doivent être mis en place en parallèle.
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