Les banques tunisiennes sauraient-elles faire preuve de résilience face à l’ampleur de la crise Covid ? La dernière évaluation de l’agence de notation financière S&P Global n’était pas d’un fort optimisme. Devrons-nous nous attendre à un envol des coûts de financement et à une plus grande précarité du secteur ? Les professionnels du métier sont conscients de la gravité des enjeux, mais il y a possibilité de rester optimistes si tout le monde y met du sien.
Un choc économique d’une ampleur telle qu’il pourrait plonger de 4,3% le PIB Tunisien en 2020, soit presque le double des dégâts que la révolution de 2011 a causés pour la croissance, selon S&P Global. Jamais le pays n’aurait connu une récession aussi importante. Il est clair que certains secteurs tels que le tourisme, les industries exportatrices, l’immobilier et le commerce ont été frappés de plein fouet. Dans une telle situation, avec des entreprises pratiquement à l’arrêt, le risque de crédit plane sur les bilans des banques. Ceci est d’autant plus vrai que des banquiers de la place estiment que les décisions prises par les pouvoirs publics en Tunisie reportent une large partie des effets économiques et financiers de la crise sur les banques, probablement plus que dans tout autre pays. À vrai dire, le report des échéances de tous les crédits occasionne un manque à gagner en termes d’intérêts sur la période de report qui coûtera environ au produit net bancaire (PNB) du secteur, 700 MDT selon les banquiers de la place. Une telle mesure est sans équivalent ailleurs au regard de la taille des banques locales. De surcroît, en l’absence de mesures légales protectrices, le coût de la refonte des crédit/avenants et l’adaptation des couvertures d’assurances seront très lourdes pour les banques. Certains professionnels que nous avons contactés l’estiment à 300-350 MDT. Qui plus est en tenant compte des mesures d’adaptation des banques au contexte et celles du maintien en état opérationnel du dispositif pendant le confinement ainsi que les dons des banques (environ 160 MDT) au 18-18, les professionnels estiment que le résultat net du secteur de l’année 2019 sera complètement annihilé. Et encore, les baisses supplémentaires attendues du TMM et l’impact sur le coût du risque ne sont pas pris en compte.
Dans son évaluation, l’agence de rating n’hésite pas d’évoquer une détérioration de la qualité des actifs. Dans le sens où l’augmentation de la part des créances douteuses pourrait atteindre 19% en 2022.
En dépit d’une telle dégradation de résultats, l’évaluation de S&P indique que le risque de défaut de banque n’est pas envisageable, loin s’en faut. L’intervention de la Banque Centrale de Tunisie était décisive selon S&P dans le sens où elle a confirmé sa disposition à venir en aide en cas de nécessité si un besoin supplémentaire de refinancement se fait sentir. Sachant fort bien que la dette extérieure des banques ne représente que le sixième de la dette bancaire. Celle-ci est principalement composée des dépôts des non-résidents, des sociétés off-shore et quelques lignes de financement des multilatéraux pour la plupart garantis par l’État. Les banquiers estiment que le dispositif public qui donne une garantie de l’État de l’ordre de 1500 MDT, les rend re-finançable par la BCT et leur permettra d’émettre du new money pour les PME afin que ces dernières puissent honorer leurs charges d’ici le mois de septembre. Il en va de soi que les effets des impayés se feront sentir à partir de septembre. Encore faut-il que les entreprises ne soient pas en situation de quasi-faillite et que les particuliers n’aient pas perdu leur emploi. Les professionnels du secteur bancaire estiment, contrairement à ce que semble penser S&P, que l’impact des défauts et de l’explosion du coût du risque ne sera pas constaté entièrement sur 2020. En trois mois, les règles BCT ne permettront pas de mettre en défaut tout le monde. La majeure partie du coût du risque se fera sentir en 2021. À noter que l’agence s’attend à une augmentation du coût du risque qui passera de 1,3% à 3,5% en 2022.
Des seuils dépassés
Il n’en reste pas moins que tout cela va mettre les fonds propres des banques à rude épreuve. Le ratio de solvabilité pourrait baisser de l’ordre de 200-300 bps par rapport à fin 2019, selon les professionnels. Ceci remettrait l’ensemble du secteur au-dessous de la norme de 10% acceptable par la BCT. Les banques les mieux capitalisées resteront au-dessus. Celles qui étaient déjà en border line – et il y en a parmi les plus grandes – vont tomber à 7% ou moins. Si l’on prend en compte que S&P raisonne sans doute conformément aux normes IFRS et Bâle 3&4, il est cohérent qu’elle considère que les ratios sont surestimés. L’agence estime que le système bancaire aurait donc besoin d’une forte augmentation de capitalisation au cours des 12 à 24 prochains mois.
Toutefois, ni l’État dont les caisses sont vides, ni semble-t-il les maisons mères qui disposent de filiales tunisiennes, dont certaines ont exprimé leur volonté de se désengager, ne sont prêtes à injecter des capitaux. La solution évoquée dans l’évaluation serait une consolidation comme cela a été fait dans des pays comme l’Égypte. Un tel programme pourrait inclure d’abord la création d’une badbank qui aura pour mission de gérer les problèmes de qualité des actifs et ensuite la décision de consolider les banques existantes. Ceci s’accompagnerait d’augmentation significative des exigences en matière de fonds propres où l’on reparlera de nouveau de l’éventualité de la fusion des banques du secteur public. Nous pensons que globalement, le coût d’une telle réforme pourrait être important, mais la Tunisie pourrait faire appel à des financements des multilatéraux comme ça a été le cas pour des pays voisins.
Les fonds propres peuvent résister
Les banquiers que nous avons rencontrés estiment que S&P n’a pas pris en considération deux éléments qui nuanceraient son raisonnement. D’abord, l’annonce par les banques, sur demande de la BCT, qu’elles ne distribueront pas de dividendes cette année. Cela va renflouer les bilans d’un montant allant de 700 à 800 MDT de fonds propres. Enfin, la garantie publique de 1500 MDT, en dépit du fait qu’elle soit sous-dimensionnée par rapport aux besoins et aux initiatives des autres pays va réduire fortement les exigences de fonds propres au titre du new money, ce qui allégera aussi d’une certaine manière la facture.
Les professionnels estiment que si l’activité des entreprises redémarre à la rentrée, le scénario noir n’est pas justifié. Le besoin d’injection de fonds propres ne devrait pas être massif, et devrait être gérable par les actionnaires locaux ou étrangers, qui en ont d’ailleurs déjà consenti une partie en ne percevant pas de dividendes au titre de 2019 et 2020. Il n’y a pas lieu de s’alarmer et engager une consolidation du secteur beaucoup plus rapide de ce qu’elle aurait été sans la crise. Toutefois, pour éviter le scénario catastrophe, il faut remédier sérieusement aux expositions des entreprises publiques qui s’invitent pour des raisons évidentes principalement chez les banques publiques. Les efforts supplémentaires devraient être supportés par toute la collectivité, notamment les actionnaires des entreprises qui en ont les moyens. Ils doivent mettre la main à la poche pour maintenir des bilans satisfaisants du moins corrects.
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