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Interview ― Mondher Ghazali: La banque face à l’impératif de l’innovation et de la solidarité

Mondher Ghazali, directeur général de l’UIB ― Le Manager, Tous droits réservés.

Au top management de l’une des banques des plus performantes de la place, Mohamed Mondher Ghazali, DG de l’UIB déploie tout son talent pour tenir le cap par bourrasques et gros temps. Sur le pont, à la manœuvre pour surfer sans relâche sur la vague meurtrière de cette pandémie planétaire. Qui n’en est qu’à ses débuts. L’économie mondiale en portera les stigmates longtemps encore. Sur les conséquences humaines, financières, économiques, sociales et sociétales, ce jeune prodige, esprit libre de la finance mondiale nous livre sans détour son analyse, ses appréhensions, ses craintes et ses motifs d’espoir. A l’écouter, la crise du covid-19 pour tragique qu’elle soit va accélérer le processus de transformation digitale du secteur bancaire et de manière générale de l’entreprise. Elle modifie déjà les rapports banque-client et pose la problématique de la banque dans son environnement, politique, social et sociétal. La frontière, la limite dira M.M.G entre l’activité économique et la démarche sociale changera et les individus seront extrêmement exigeants par rapport aux comportements des différents acteurs économiques. En clair, cela voudrait dire plus de «solidarité et d’empathie». Autant dire de la responsabilité sociale à la responsabilité politique des banques et des entreprises, le pas sera vite franchi. On mesure cette évolution à l’aune de l’engagement des banques de la place de Tunis, notamment celle de l’UIB, et de leur contribution à l’effort de solidarité nationale. M.M.G. revient sur les mesures prises par le gouvernement qu’il juge pertinentes, même s’il faut aviser si la pandémie venait à s’aggraver et ses conséquences sur l’économie et le social se durcir. Précis dans son analyse, clair dans son propos, le ton juste et le verbe mesuré, il avance avec autant d’assurance que d’humilité. Ses démonstrations coulent de source, fort d’un parcours exemplaire et des plus exigeants dans l’enseignement supérieur avant de se lancer dans le métier de banquier au plus haut niveau des responsabilités internationales. L’UIB se porte bien, on le croirait volontiers. Elle a déjà mis en place l’essentiel des dispositifs de la banque de demain : process, instruments, produits, culture d’entreprise, relation-client….Elle est parée contre les chocs de quelque nature qu’ils soient : économiques, technologiques, sanitaires, environnementales… M.M.G nous dit davantage sur sa vision de la banque, sur sa nouvelle orbite de croissance, sur la nécessité de changer de paradigme, de pensée et de modèle de développement. Il détaille pour nous les prochains foyers de croissance sans jamais se départir de ce credo, de cette conviction qui lui tiennent de guide : solidarité et empathie. Tous unis pour une cause commune dont il voit le reflet dans la banque de demain… l’UIB sans doute !

Quel est votre lecture de cette crise inédite qui touche de plein fouet l’économie réelle avec même je dirai un effet d’entrainement ?

Cette situation de crise intervient au moment où l’économie mondiale et en particulier l’économie tunisienne sont fragilisées. Et ce, de par un faible niveau de croissance, un endettement assez lourd, et notamment un mouvement de globalisation en recul en termes de commerce international. De ce fait, les conséquences risquent d’être lourdes et l’impact sur l’économie réelle sera probablement plus important que celui de la crise de 2008. On s’attend donc à des récessions un peu partout dans le monde avec des fléchissements de taux de croissance qui pourraient être de l’ordre de -2%.

En ce qui concerne la Tunisie, la situation est déjà complexe du point de vue des finances publiques, elle est à un point d’inflexion dans les relations avec le Fonds monétaire qui mettra le pays sous une conditionnalité forte avec pour trame de fond une conjoncture politique qui fait que le nouveau gouvernement vient à peine de prendre ses quartiers qu’il doit d’emblée faire face à cette grave crise. Certes, l’année écoulée a vu quelques améliorations au niveau de réduction du déficit public et maintien du taux de change mais il n’en demeure pas moins que les caisses de l’État sont a priori vides. Le combat va se faire d’abord contre les implications immédiates de la crise en matière de fragilisation de la population les plus vulnérables. Le pays va devoir mobiliser des fonds importants et compter sur lui-même. Nous, autres banques, nous nous retrouvons clairement en première ligne, et allons contribuer au même titre que tous les Tunisiens d’ailleurs dans cette mobilisation.

Comment jugez-vous les mesures prises par le chef du gouvernement pour lutter contre la propagation de la Covid-19?

Les mesures de soutien aux entreprises et aux personnes vulnérables me semblent globalement des mesures pertinentes et équilibrées. Il est évident que le montant alloué à ces mesures paraît extrêmement significatif au vu des capacités du pays, mais il n’est tout de même pas certain que ce niveau d’intervention suffise. Il n’est donc pas exclu que dans les prochaines semaines, de nouvelles mesures soient prises afin de faire face à une crise qui se confirme. A ce stade, la réaction est sérieuse et bien dimensionnée en mettant en avant les enjeux qui ont besoin d’être traités d’urgence. La mobilisation des fonds doit se faire à l’adresse du secteur de la santé publique, des personnes concernées directement ainsi que des institutions impliquées. La difficulté réside dans notre capacité à faire évoluer notre système de santé qui demeure extrêmement insuffisant au regard de l’enjeu sanitaire actuel. Au-delà de ce budget de 2500 MDT consacré par le gouvernement, d’autres mesures ont été décidées sous l’égide de la Banque Centrale de Tunisie et par la communauté bancaire à travers l’association professionnelle.

Quelle en serait la plus significative d’après vous ?

Les entreprises peuvent demander le rééchelonnement de leurs dettes pour une durée de 7 mois entre le 1er mars et fin septembre. Il s’agit d’une mesure très significative pour ces entreprises qui leur permet d’avoir une certaine sécurité dans ce contexte. Ils vont devoir faire face à une baisse du chiffre d’affaires et cette mesure va beaucoup les aider. Nous espérons que ces entreprises vont adopter un comportement responsable vis-à-vis de leurs effectifs et de leurs clients et fournisseurs. En effet, notre économie est une chaîne et donc toutes les parties sont liées les unes aux autres. Je voudrais souligner que ce type de mesures impliquera pour l’ensemble du secteur 5 à 6 milliards DT entre échéances et retombées de crédits qui ne seront pas payées sur les 7 prochains mois. Ceci est considérable en matière de liquidité.

En tant que DG d’une banque, quelles sont aujourd’hui vos attentes de la part de la Banque Centrale ?

Personnellement, j’ai déjà une appréciation très positive des mesures déjà prises par la BCT. Il est vrai que la réduction du taux d’intérêt a été opérée tout de suite bien que la baisse des 100 points de base peut ne pas paraître importante par rapport au niveau des taux et aux mesures prises dans d’autres pays. Toutefois, en ce qui nous concerne, il y a toujours un risque de résurgence inflationniste, en l’occurrence pendant la période de confinement pour ce qui est des prix des produits de base. Dans sa dernière déclaration, le Conseil d’administration de la Banque centrale a laissé entendre que l’institut d’émission fera tout le nécessaire pour redresser l’économie et la soutenir face à cette crise. Des mesures importantes ont été prises à l’instar de la suppression de toute tarification sur les instruments de paiement et de retrait électronique. Aussi, en est-il des mesures obligeant les banques à adopter une distribution de carte bancaire gratuite à l’ensemble des clientèles. En outre, la BCT a légèrement allégé ses normes prudentielles en apportant une flexibilité au ratio crédit/ dépôts pour le rendre plus favorable aux banques. On note également la révision du rythme avec lequel le ratio va diminuer la prochaine période. Je suis convaincu que la Banque Centrale saura se montrer très bienveillante en matière de respect des mesures réglementaires.

L’UIB a été l’une des premières banques à réagir substantiellement, qu’avez-vous envisagé en matière de mesures de solidarité nationale ?

D’abord, nous avons dans un premier temps participé à l’effort national pour la lutte contre la Covid-19 à travers l’association professionnelle des banques avec un montant de 1,2 million dinars. Nous avons dès le début annoncé que nous prendrons en charge l’achat et la distribution d’un appareil d’assistance respiratoire au profit des hôpitaux dans chacun des 24 gouvernorats. En plus de la mise à disposition de notre application Don by UIB pour recueillir les dons au profit des efforts pour la lutte contre le Corona, avec la possibilité d’y contribuer avec une carte bancaire quel que soit l’émetteur. La gravité de la situation a fait que le secteur bancaire, bien conscient de sa responsabilité, a renforcé son soutien. La contribution des dix premières banques de la place est de l’ordre de 100 MDT. Quant à elle, l’UIB apportera un concours de 10 MDT. Il a été également convenu avec l’association professionnelle des banques et des établissements financiers d’effectuer des reports d’échéances élargis à tous les agents du secteur public et des entreprises privées en difficulté.

Et quelles mesures avez-vous consacré au profit des clients de l’UIB ?

Bien évidemment, pour nous, le support de nos clients, qu’ils soient particuliers ou entreprises, est primordial. A ce titre, nous avons procédé avant la fin du mois de mars au remboursement des échéances de crédits ayant été payées à ce titre, afin de leur donner un peu d’oxygène. En outre, nous avons annoncé que nous allons étudier avec bienveillance certaines demandes de crédits additionnels pour les différentes populations de la banque en l’occurrence les entreprises confrontées à des difficultés particulières. Nous soutiendrons de même tous les corps de métiers qui se trouvent en première ligne dans cette lutte contre la Covid-19 et nous ne serons pas d’ailleurs très regardants au niveau des dépenses. Nous permettrons le rééchelonnement de certains crédits pour les clients ayant un salaire en dessous de 1000 dinars. Nos clients pourraient également retirer un montant modeste à hauteur de 100 dinars pour ceux ayant des difficultés de subvenir à leurs besoins élémentaires et ce, quel que soit leur situation financière. Nous sommes la première banque des particuliers en Tunisie et plus précisément la première banque de la clientèle grand public. C’est notre manière à nous de faire un geste quasi-humanitaire pour les clients de l’UIB.

Revenons au secteur bancaire. Avec ces reports d’échéances, le secteur lui-même ne se retrouvera-t-il pas en crise, du moins les banques les plus fragiles ?

Mon point de vue est que le secteur bancaire a la chance d’avoir connu durant les deux ou trois dernières années une amélioration assez significative au niveau de ses fonds propres. Celle-ci provient de l’augmentation de la rentabilité, de la productivité ainsi que des efforts substantiels et des résultats spectaculaires des banques publiques. Du point de vue macroéconomique, cette amélioration est induite en grande partie par la politique monétaire suivie par la Banque Centrale. Notamment en ce qui concerne la baisse importante du refinancement des banques qui est passé de 18 milliards à 11 milliards de dinars environ. Tout cela a fait qu’aujourd’hui, le secteur bancaire fait face à la crise sanitaire dans une situation assez confortable. La Banque Centrale et les banques qui verront s’effriter une part de leur chiffre d’affaires disposeront encore d’une certaine marge de manœuvre. Il n’en reste pas moins que les répercussions de cette crise sur le secteur bancaire seront assez conséquentes. Je pense que la baisse du PNB sera de l’ordre de 20 à 40% sur le reste de l’année 2020 et probablement sur une partie de l’année 2021. Pour certaines banques, les bénéfices seront divisés par deux et pour d’autres, ils seront carrément annulés voire seront en état de perte considérable.

Vous pensez qu’il peut y avoir un risque de liquidité ?

En fait, nous avons pris l’habitude depuis plusieurs années d’opérer dans un contexte de liquidité très tendue. Il faut reconnaître que nous assistons depuis le début de cette crise à un comportement rationnel de la part de nos clients. En ce sens, la demande de liquidité a augmenté à raison de 30% environ, ce qui reste très gérable. Il faut rappeler qu’au Maroc par exemple, les banques sont en train de faire face à des demandes de liquidité très importantes de la part des clients, ce qui cause au secteur des difficultés immédiates. S’agissant de l’offre, la liquidité va se retrouver sous haute tension de par le rééchelonnement massif des crédits et l’augmentation de notre concours aux entreprises. Fort heureusement, nous sommes bien dimensionnés pour absorber cet effort surtout que la Banque Centrale a confirmé son soutien. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la crise va avoir un effet récessif, le taux de progression de l’encours de crédit sera plus lent, ce qui permettra d’atténuer la tension sur la liquidité.

Combien de temps pensez-vous que cette crise va durer ?

Nous sommes en situation inédite avec beaucoup d’incertitudes. La phase la plus aiguë de la crise sanitaire peut durer entre 8 et 10 semaines. S’en suivra une longue phase de reprise des industries et des entreprises. Nous risquons d’arriver à la rentrée de septembre avec une économie encore en phase de redémarrage. Je ne pense pas que l’économie retrouve un rythme de croisière avant la fin 2020.

Concernant les PME, pensez-vous qu’elles soient suffisamment outillées pour faire face à cette crise ? Quel est l’enjeu majeur pour elles ?

Je pense que l’enjeu pour cette période est de pouvoir préserver la capacité de production. A ce niveau, il faut savoir préserver les compétences et ressources humaines dans des conditions sociales et sanitaires convenables. Il s’agit d’une circonstance cruciale qui permet de définir la responsabilité des entreprises vis-à-vis de leurs employés. C’est pourquoi, il faut pouvoir préserver dans la mesure du possible les relations avec les clients et les fournisseurs. Nous allons assister à des conflits assez importants tout au long de la chaîne de production. Je citerai en l’occurrence ceux engendrés par le dépôt des chèques, ces derniers sont utilisés dans notre pays comme moyen de crédit en dépit de tout bon sens. Cette question s’étend aussi aux partenaires étrangers et aux marchés étrangers qu’il faudra pouvoir rassurer même s’ils sont eux-mêmes affectés par la crise. Derrière tout cela, je pense à quelque chose de positif, une certaine mise à profit en menant une nouvelle réflexion quant au modèle économique, et en se posant la question de la pertinence des produits et des offres et même la question de leur raison d’être.

Compte tenu de cette réflexion, qu’aimerait pouvoir changer l’UIB ?

Cette crise place chacun d’entre nous face à un défi important. Je rappelle que nous sommes considérés par le gouvernement comme un des secteurs vitaux pour l’économie. Et nous l’assumons avec fierté. Cela nous conforte dans notre conviction que les services bancaires font partie des premières nécessités du citoyen. Ceci implique pour nous d’assurer un déploiement des services de la banque qui est largement supérieur à la moyenne du secteur. Nous avons aujourd’hui un réseau d’agences fonctionnel à 100% et qui le restera durant les prochaines semaines. Nous continuons à apporter les services de base à nos clients sans soucis et nous poursuivons nos activités centrales de type activités de marchés qui ne sont assurées que par une petite équipe sur place en liaison avec d’autres membres en confinement. Ce fonctionnement montre la résilience de la banque et notre capacité à mettre en place notre plan de continuité d’activité. Nous avons aujourd’hui 500 collaborateurs qui sont en télétravail ou qui travaillent à distance, ce qui nous permet en outre, d’avoir une certaine prise de recul.

Qu’en est-il ressorti de ce recul ?

Une réflexion salutaire par rapport à la manière dont nous allons envisager notre métier au futur, ainsi que pour maintenir tous nos collaborateurs émergés en dehors de l’entreprise. Cette phase ne sera pas une halte mais au contraire une phase d’accélération de certains de nos projets qu’ils soient de digitalisation ou d’offre de nouveaux produits ou encore de développement de nouvelles activités de la banque. Cette phase sera pour nous l’occasion d’intensifier la formation de nos collaborateurs via le e-learning et les formations à distance portant sur tout ce qui est développement personnel, à l’instar des langues.

Entendez-vous par là que le secteur doit se préparer à un nouveau cap ?

Effectivement, il faut savoir qu’au sortir de cette crise, le secteur connaîtra un bouleversement majeur sous deux angles: le premier consiste en la digitalisation des services et la prestation des services financiers à distance. J’espère que nos clients adopteront ces nouvelles solutions. Nous ferons tout pour y parvenir ; notamment en fixant une tarification appropriée. Nos collaborateurs seront concernés à travers le développement du télétravail et de la continuité de services. Le deuxième angle consiste en une révolution sociétale au niveau du secteur bancaire, soit une révolution de la RSE qui ne concernera pas uniquement les banques mais absolument tous les secteurs. La limite entre l’activité économique et l’activité sociale changera et les gens seront extrêmement exigeants par rapport aux comportements des différents opérateurs économiques durant cette période de crise notamment en matière de solidarité et d’empathie. Je dirais même qu’on est dans le champ du devoir. Je pense que le citoyen, le consommateur orientera ses actions en fonction du niveau de responsabilité dégagé par les acteurs économiques. Il s’agit d’une interpellation très forte pour nous, sur notre capacité à intégrer cette composante dans notre activité et dans nos projets de développement futur.

Cette crise poussera-t-elle vers la création de nouveaux besoins et donc vers l’innovation ? Est-ce le moment opportun pour la financer ?

Oui tout à fait ! De manière générale, il s’agit à la fois de financer l’innovation au sein de la banque en animant notre communauté de développement notamment pour innover dans la manière dont la banque sert ses clients et son environnement. Nous n’avons pas abordé directement le modèle économique tunisien qu’il faut mettre en place dans le futur. Je pense que ce modèle va devoir se déployer de manière résolue juste après la crise et qu’il va recevoir un coup de fouet. La Tunisie va devoir se développer très rapidement, sur la haute technologie, sur la green économie, sur l’économie circulaire et solidaire, sur la biotech, sur les industries créatives et culturelles. On est tous d’accord que ce pan d’activités va produire la croissance et la prospérité du 21ème siècle. Il va devoir recevoir une forte impulsion dans les prochains mois. Nous avons décidé au sein de l’UIB de consacrer des moyens substantiels qu’ils soient à travers le financement ou le cas échéant la participation au capital. Nous prendrons également des initiatives importantes dans les prochains jours dans le domaine de la fintech, un secteur qui nous intéresse particulièrement.

Cette crise serait-elle l’occasion pour améliorer l’image du secteur bancaire, pointé du doigt pour les bénéfices qu’il a pu générer en période de vache maigre. Qu’en pensez-vous ?

En effet, il existe ce phénomène d’éloignement entre le secteur bancaire et le citoyen et ceci n’est pas spécifique à la Tunisie mais au monde entier. Il existe une forme d’incompréhension et je suis convaincu que les banques ont aujourd’hui une chance historique et je dirais même unique de réduire cette distance et de repositionner leurs rapports avec les clients et le large public sur des bases plus constructives.

Pouvons-nous dire que cette crise nous appellera à repenser le contrat social en Tunisie ?

Absolument. Personnellement j’en suis convaincu. Cette crise nous poussera à repenser le contrat social dans notre pays. La question est fondamentalement en ébullition depuis une dizaine d’années et nous n’avons pas trouvé de solution évidente. Il faut savoir que notre pays est le plus cohérent, le plus cohésif et le plus homogène dans la région. Nous sommes un petit pays avec très peu de disparités régionales. Cette cohésion d’ensemble qui était déjà mise à mal depuis deux ou trois décennies dans le champ économique. Elle s’est étendue dans le champ social ces dernières années. La crise actuelle vient rajouter une couche nouvelle car il s’agira probablement de survie humanitaire. Un certain nombre d’exaspérations qui existent depuis plusieurs années vont devoir se libérer. Le comportement des nantis doit être absolument exemplaire durant les prochains jours, semaines et mois. D’abord, pour des raisons éthiques liées à la nature de notre pacte social en Tunisie. Ensuite, parce qu’il y va de leur propre intérêt. La Tunisie a permis l’accumulation d’un certain nombre de patrimoine au cours des dernières décennies sous le regard souvent bienveillant de l’État et grâce à un système fiscal favorable, de non-imposition du patrimoine. Aujourd’hui, ces patrimoines d’acteurs économiques déterminants qui contribuent à l’emploi, à l’animation de l’économie et à la vie de la cité sont dans ce sens un élément crucial de ce contrat, ils doivent apporter une contribution éclatante pour l’ensemble des citoyens.

Comment voyez-vous le rôle de l’Etat demain ? Sera-t-il plus grand ?

Oui tout à fait. Il sera plus grand en termes d’exigences, de devoir sans être nécessairement plus grand en termes de secteur ou nature d’intervention. Les ruines sur lesquelles nous sommes assis notamment en matière de santé, d’éducation et d’infrastructure en général, nous laissent penser que la thèse que l’Etat doit se centrer sur ces missions essentielles sur lesquelles il ne peut y avoir des substituts et laisser les autres domaines entre les mains du secteur privé, en préservant bien évidemment les intérêts nationaux prend toute son ampleur. Nos concitoyens seront plus exigeants sur la qualité des services publics et ne toléreront plus des systèmes qui seront la cause de décès inutiles ainsi que de la marginalisation de certains citoyens. La Tunisie se retrouve aujourd’hui en retard dans ces domaines par rapport à d’autres pays dont l’économie se rapproche de la nôtre. Les citoyens sont en attente d’un changement conséquent à ce niveau, et l’État devra repenser son rôle, ses sources de revenus, la qualité de ses interventions ainsi que sa capacité de se délester de certaines tâches au profit du secteur privé.

Un mot de la fin ?

D’abord, un mot pour les collaborateurs de l’UIB et du secteur bancaire de manière générale. Je leur adresse mes salutations tout comme à tous les Tunisiens mobilisés en ces temps de crise en leur disant que leurs engagements les honorent et qu’ils font honneur à la profession. A nos clients, je leur dis que nous restons à leur service et que nous allons avec beaucoup de bienveillance les accompagner dans tout ce dont ils ont besoin afin de dépasser cette crise du mieux que nous le pouvons grâce à notre solidarité. Je pense que nous allons aborder la gestion de cette crise dans des conditions satisfaisantes et nous avons la chance de tirer les leçons d’autres pays ayant été touchés plus tôt et plus que nous. Rien n’est plus cher qu’une vie humaine, c’est le principal enseignement de cette crise. Restons solidaires jusqu’à la fin. Prouvons que la Tunisie est capable de s’en sortir.