Déjà assez endettés, les pays africains devraient faire face à une crise sanitaire sans précédent avec des ressources budgétaires limitées. De quelles solutions alternatives disposent les pays africains ? Pour répondre à ces questions, l’Association des économistes euro-méditerranéens (EMEA) a organisé le mois dernier un webinar intitulé « Surendettement, allégement de la dette, restructuration et transparence : la voie de la viabilité de la dette pour l’Afrique est-elle un mythe ? » avec la participation d’éminents experts. Compte-rendu.
« Nous n’avons que 25 respirateurs envoyés par la Turquie”. C’est ainsi que Mahamoud Youssouf Khayal, le ministre de la Santé Publique du Tchad, a décrit la situation alarmante de son pays lors d’une session parlementaire tenue en juin dernier. Le Tchad est loin d’être le seul pays africain dans une telle situation de détresse et la crise sanitaire ne fera que compliquer encore plus la situation dans le continent. D’après Abderrahman Benkhalfa, ancien ministre des Finances en Algérie, la dette africaine en 2019 a été estimée à plus de 365 milliards de dollars, soit 60% du PIB du continent. La crise sanitaire ne peut qu’exaspérer la situation. Non seulement la lutte contre ce virus nécessiterait des financements supplémentaires de l’ordre de 100 milliards de dollars, note Benkhalfa, mais aussi on s’attend à une récession qui peut atteindre les -7%.
Le soutien de la communauté internationale
Pour financer la lutte contre le virus, les États africains n’auraient donc d’autres solutions que de chercher des ressources externes. Pour aider les pays africains dans cette tâche, l’Union africaine a mis en place une délégation spéciale composée d’anciens ministres des finances et gouverneurs de banque centrale, dont Benkhalfa. “Notre mission est de négocier l’obtention de ces ressources sous d’autres formes que les prêts; soit en dons ou en quasi-dons”, a-t-il indiqué. Cette assistance pourrait prendre la forme d’une contribution de la part de l’Association internationale de développement (l’institution de la Banque mondiale qui aide les pays les plus pauvres de la planète) ou du Fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes du FMI.
Benkhalfa propose aussi d’affecter à l’Afrique les ressources non allouées du Droit de tirage spécial (DTS) du FMI. Mais la portée mondiale de la crise complique déjà la tâche pour les pays africains en quête de ressources supplémentaires. “La communauté internationale doit se tourner vers les pays africains pour leur fournir une liquidité supplémentaire ”, a plaidé l’ancien ministre des Finances. “La Chine a déjà annoncé la mobilisation de quelques milliards de dollars pour faciliter l’acquisition d’équipements médicaux auprès des entreprises chinoises”, a-t-il ajouté. De son côté, le Fonds monétaire international a déployé plusieurs mécanismes pour soutenir les gouvernements des pays africains lors de cette crise. “Nous avons consacré 100 milliards de dollars pour répondre aux besoins en financement de nos partenaires et déjà 10 milliards de dollars ont été alloués au profit de 25 pays de l’Afrique subsaharienne”, a indiqué Mary Goodman, du FMI.
Pour aider les pays les plus pauvres à faire face à la crise, le FMI et la Banque mondiale ont également proposé la mise en place de l’Initiative de suspension du service de la dette, ou ISSD. Cette initiative vise à alléger le fardeau de la dette des pays les plus pauvres afin de leur permettre de mieux gérer la crise. “Cette initiative représente pas moins de 20 milliards de dollars de ressources supplémentaires à ces pays”, a indiqué Goodman. “La validation de cette initiative de la part des pays du G20 a été un moment historique”, ajoute-t-elle. Mais quelques conditions ont été mises en place pour profiter de cette suspension du service de la dette. “Les ressources ainsi libérées doivent être allouées aux efforts de lutte contre le coronavirus”, souligne la représentante du FMI. Aussi, les pays souhaitant en profiter doivent divulguer leur dette actuelle. Pour Goodman, cette initiative présente une opportunité de taille pour les pays pauvres. Elle a aussi indiqué que le FMI “encourage les créanciers du secteur privé à participer à cette initiative”.
Quel rôle pour les créanciers privés ?
Le secteur privé, lui, n’est pas enthousiaste à cette proposition. C’est du moins ce qu’a laissé entendre Kevin Daly, membre du groupe de travail Africa Private Creditor. Daly a exprimé sa “frustration” de l’approche pour laquelle a opté le FMI pour gérer la situation. Selon lui, l’appel lancé par le Fonds aux créanciers privés pour participer à cette initiative dénote une incompréhension de la nature de la relation qui lie les gestionnaires de fonds avec leurs clients et une mauvaise préparation de l’initiative. “En tant que créanciers privés, nous ne pouvons nous engager dans n’importe quelle initiative sans le consentement de nos clients”, a-t-il indiqué. Et d’ajouter : “L’annonce de l’initiative par le FMI a suscité de l’inquiétude auprès de nos clients”. Daly a tout de même indiqué la volonté des créanciers privés de contribuer aux efforts de la communauté internationale en développant de nouveaux outils de financement à coûts réduits, ce qui a été corroboré par Moritz Kraemer d’Acreditus. Pour celui-ci, il serait malhonnête de présenter la crise par laquelle passent les pays africains actuellement comme le résultat de la pandémie. “La détérioration des finances publiques de ces pays a eu lieu dans les meilleures conditions financières”, a-t-il indiqué. Et d’ajouter : “Il s’agit d’une crise de solvabilité et non d’une crise de liquidité”.
Kraemer a par ailleurs indiqué que certains pays pour lesquels le FMI propose d’offrir la suspension du service de la dette sont notés CCC, ajoutant que pour ces pays, l’incapacité de paiement n’est qu’une question de temps. Pour le représentant d’Acreditus, l’ISSD n’est donc pas la solution optimale pour faire face à cette situation. De son côté, Christian Kopf, n’est pas du même avis. Pour lui, une telle position ne profite à personne. Les créanciers privés doivent accorder plus de souplesse dans le traitement du dossier, non pas par charité, mais parce que cette approche est la plus économiquement viable. Selon l’expert, l’idée reçue selon laquelle la dette des pays africains est hors normes n’a pas lieu d’être. Au Cameroun, par exemple, la dette représente 35% du PIB. Ce ratio est de 62% en Éthiopie. Certes, ces chiffres sont alarmants mais sont loin, par exemple, des 160% enregistrés par l’Italie, note Kopf. Et d’ajouter : “Je pense que ces pays ont juste besoin d’un soutien au niveau de leur trésorerie”.
Pour le représentant de Union Investment, la nécessité de la restructuration des prêts contractés par les pays africains est donc une évidence. Ceci n’est cependant pas le cas pour les obligations “plus difficiles à restructurer en raison de leur nature atomisée.” Ceci ne devrait cependant pas empêcher le développement de solutions innovantes. “À quoi sert de pousser l’Éthiopie à manquer le paiement de ses obligations alors que le pays n’a demandé que de retarder de six mois le paiement des coupons?”, s’est-il interrogé. La solution ? Selon Kopf, il faut créer un marché de swap pour échanger ces obligations contre des obligations durables avec une période de grâce de deux ans. “Ceci nous permettra de frapper d’une pierre deux coups”, a souligné l’expert: “Fournir aux pays africains le financement dont ils ont besoin tout en garantissant aux créanciers le remboursement de la dette.
En plus, les bailleurs de fonds pourraient assurer que leurs financements sont en train de contribuer à atteindre les objectifs de développement durable”. Il est clair qu’il est temps pour les pays africains de commencer à penser à des solutions à leurs problématiques structurelles. Compter sur le soutien de la communauté internationale doit être une solution de dernier recours. Cette crise serait-elle l’étincelle d’un tel changement ?
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