Après avoir maîtrisé la propagation du virus, la Tunisie a décidé d’ouvrir ses frontières, fermées depuis le mois de mars dernier. Une étape qui préconise, du moins pour certains, un début de retour à la normale. Mais pour les professionnels et les experts du secteur, le chemin est encore long. Écoutons-les.
Grâce à sa bonne gestion de la crise et à ses compétences du secteur de la santé, la Tunisie était parmi les premiers pays de la région à annoncer la réouverture de ses frontières. Un protocole de santé a été à l’occasion élaboré et une campagne de marketing a été lancée. Mais à quoi faut-il s’attendre au juste ?
Crisis as usual
Le secteur a déjà connu des crises par le passé, et a prouvé à maintes reprises sa capacité à rebondir. “Auparavant, le secteur a pu bénéficier de l’affluence du marché local, mais aussi des marchés de proximité tels que l’Algérie, la Libye, etc. pour sauver la saison quand les touristes européens avaient décidé de passer leur été ailleurs”, a indiqué Enis Rouissi, Directeur Consumer Business, Tourisme et Santé à Deloitte Afrique. Aussi, la Tunisie a pu tirer pleinement profit du fait qu’elle soit une destination prisée par un certain nombre de touristes européens pour ranimer le secteur à la suite de chaque crise.
Cette fois-ci, en revanche, la crise est différente. “Non seulement elle a impacté le marché national et international, mais aussi d’autres secteurs d’activité”, a souligné Rouissi. Compter sur les marchés “refuge” ne sert donc plus à rien. Pour l’expert de Deloitte, la reprise de l’activité serait donc tributaire de la réouverture des frontières des différents marchés émetteurs notamment les pays européens. Il a aussi noté que plusieurs pays ont adopté des politiques incitatives pour relancer leur propre tourisme. Pour Slim Ben Miled, ancien président de la FTH, il est clair que la période de l’après-Covid sera marquée par la domination du tourisme de masse : « Les revenus des ménages des marchés qui avaient l’habitude de fréquenter la destination Tunisie ont baissé », a indiqué Ben Miled. “Ces touristes vont d’abord chercher à réduire leurs dépenses ». Mais il n’y a pas que les clients qui ont été impactés. Les hôteliers ont dû eux aussi faire face à une période difficile.
Ceci va les pousser, selon Ben Miled, à adopter une politique de réduction de coûts qui va certainement impacter la qualité du service. “Les hôtels vont par exemple, essayer de réduire le nombre du personnel, de limiter la variation culinaire.” Peut-on espérer séduire la clientèle du tourisme de luxe ou alternatif ? Selon Ben Miled, ceci ne sera pas possible, principalement en absence d’une offre suffisante, d’un intérêt de la clientèle cible. “Je pense que ces clients chercheront à aller plus loin et opteront pour des destinations plus exotiques”, a indiqué l’hôtelier.
Cela dit, Rouissi estime qu’il est toujours possible de sauver la saison. Pour ce faire, il préconise qu’il est essentiel de mettre l’accent sur la réussite de la Tunisie à éradiquer le virus. “La campagne Safe & Ready lancée par le ministère du Tourisme est une excellente idée. Il faut que tous les tunisiens s’engagent à sa réussite”, réclame l’expert. En d’autres termes, tout citoyen doit être tenu à respecter les mesures de sécurité sanitaire. “Le moindre dépassement peut nous coûter cher”, assure-t-il. Peut-on donc espérer à sauver la saison? Pas vraiment, selon nos interlocuteurs. Tout ce que nous pouvons faire c’est de limiter les dégâts … et de penser sur le long terme.
Sauver la saison … dans 5 ans
Car, si le secteur se trouve incapable de survivre à une telle crise, c’est principalement à cause d’une gestion peu optimale, indiquent nos interlocuteurs. La crise peut donc représenter le déclic pour déclencher une réforme qui a tardé à se concrétiser. Le secteur ne peut certainement pas continuer à compter sur l’État pour le sauver à chaque fois. “Même si le secteur est prioritaire et que le gouvernement ait la volonté de le soutenir, la nature systémique de la crise fera en sorte que le soutien de l’État sera cette fois de moindre envergure et peut ne pas suffire à sauver tous les acteurs”, a affirmé Enis Rouissi. Il faut désormais penser au long terme.
Les diagnostics et les solutions proposées ne manquent certainement pas, a noté Rouissi. Ce qui fait défaut, c’est la volonté d’agir. L’expert propose dans ce cadre la création d’une task-force, voire même une commission permanente, impliquant les différents acteurs publics concernés, les fédérations sectorielles, le secteur bancaire et les bailleurs de fonds. Le but étant de moderniser le secteur aussi bien pour optimiser la gestion, que pour passer d’une approche “hôtelière” à une approche “touristique”, comme le note Ben Miled. “Il faut faire en sorte à ce que l’activité touristique ne soit pas confinée dans les hôtels”, a-t-il souligné.
Pour l’hôtelier, il est temps de revoir le modèle des zones touristiques isolées, en optant pour des modèles plus modernes permettant au touriste de s’associer à la vie culturelle locale. Aussi, il est temps d’adopter les nouvelles tendances du tourisme notamment les voyages expérientiels et les expériences immersives. Pour ce faire, Rouissi recommande de s’articuler autour de trois axes prioritaires. D’abord, il est essentiel de consolider les fondamentaux (formation, sécurité et hygiène, …).
Ensuite, l’expert recommande de concevoir une stratégie de type “reboot” en rassurant les clientèles historiques et en travaillant progressivement de nouvelles cibles, notamment à travers une meilleure mise en avant d’offres alternatives. Enfin, il préconise de favoriser des partenariats public/privé vertueux et accroître le support aux territoires et offres émergents. En capitalisant sur les opportunités que la Covid a offert à la Tunisie, la crise pourrait aboutir à un nouveau départ pour le tourisme tunisien, et à de nouvelles opportunités pour les territoires ou pour les offres considérées jusqu’alors comme secondaires.
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