
Le 21 août 2015, la marine nationale a inauguré la frégate Al Istiklal. Il s’agit d’un véhicule militaire dont la conception et la réalisation ont été faites entièrement en Tunisie, par des compétences nationales, dans le cadre d’un partenariat public-privé. Al Istiklal n’a pas été le dernier équipement militaire construit en Tunisie avec la mise en service de deux patrouilleurs — Kerkouane et Utique — ainsi que de quelques autres véhicules militaires. Ces actes restent en revanche isolés et sont loin de représenter les prémices d’une industrie militaire à proprement parler. Contrairement à presque toutes les autres industries, celle des armes est totalement inexistante sur le territoire national. En 2018, le ministre de la Défense Nationale à l’époque, Abdelkrim Zbidi, a déclaré que plusieurs pays désirent faire de la Tunisie une plateforme de l’industrie militaire dont la production sera destinée à l’exportation vers l’Afrique. Zbidi et le ministre des PME et de l’industrie, se sont même entretenus avec Oğuz Çarmikli, PDG du groupe turc Nurol, spécialisé dans l’industrie militaire. Aucun projet n’a été concrétisé.
“De l’antibiotique à l’antiterroriste »
“Il est essentiel que la Tunisie se dote d’une industrie militaire”, a affirmé au Manager Jied Aouij, fondateur et CEO de Femco LTD, un fournisseur d’armes agréé par l’État tunisien. “Il s’agit d’une question de sécurité nationale”, a-t-il ajouté. Aouij n’avait jamais envisagé d’emprunter cette voie. “Après mon bac, mes parents ont voulu que je sois pharmacien”, s’est-il rappelé. “Et c’est ainsi que j’ai fait des études en pharmacie ». Fan du monde des armes, Aouij a décidé de frapper aux portes des entreprises de fabrication d’armes pour les représenter en Tunisie. “Après 3 ans de travail acharné, ma demande a été approuvée pour représenter une entreprise Serbe en Tunisie”, a-t-il affirmé.
Depuis, le marchand d’armes en herbe a pu diversifier son catalogue et a élargi son carnet de fournisseurs. Pour lui, le fait que la Tunisie n’a même pas développé, de manière embryonnaire, une industrie de l’armement est à la fois inquiétant et frustrant. “Notre pays dépend de manière totale des importations pour répondre à ses besoins de défense ce qui le met dans une situation de fragilité extrême », a-t-il signifié. L’absence de cette industrie marque aussi selon lui un gâchis important puisque notre pays regorge de compétences de haut calibre en ingénierie d’armement formés à de hauts niveaux. “Encore une fois, notre pays n’est pas en train de récolter les fruits de ses investissements”, a-t-il ajouté.
Pour Aouij, la vague de privatisation de la production des armes qu’a connu le monde depuis des décennies doit débarquer en Tunisie. “C’est une industrie comme les autres”, a-t-il indiqué. D’après l’expert, il est temps de reconnaître que notre pays accuse un grand retard en la matière, même en comparaison à des pays de la région tels que l’Algérie, l’Égypte ou encore le Maroc.
Les Émirats, l’un des exportateurs majeurs des armes dans le monde
Les EAU ont investi massivement dans les importations d’armes depuis 2000, devenant ainsi l’un des 10 plus grands importateurs mondiaux d’armes. À peu près au même moment, les EAU ont commencé à développer leur industrie locale. Pour ce faire, le pays a adopté à partir des années 1990 des exigences de compensation dans le cadre de sa politique d’importation d’armements. Parmi elles, le pays exigeait aux fournisseurs étrangers d’armes de contribuer au développement des capacités de coproduction, de transférer des technologies et d’investir dans des entreprises de production d’armes émiraties.
À la suite de cette politique, les EAU ont reçu des technologies militaires étrangères, par exemple du Brésil, du Canada, d’Afrique du Sud, des États-Unis et de pays d’Europe occidentale, ce qui leur a permis de produire progressivement des armes et composants majeurs au niveau national. Un développement significatif a été la formation d’un conglomérat de production d’armes, l’Emirates Defence Industries Company (EDIC), en 2014. Avec d’autres petites entreprises, EDIC a été absorbée en 2019 dans une nouvelle entreprise publique nommée EDGE. Les ventes totales d’EDGE ont atteint 4,75 milliards de dollars en 2019, dont 95% seraient des ventes d’armes, vraisemblablement dérivées dans une large mesure d’achats nationaux. L’industrie de l’armement émiratie est basée sur la technologie et les composants importés, par exemple, pour l’assemblage de véhicules blindés et de missiles en Afrique du Sud, de corvettes en France ou encore de munitions et composants pour un certain nombre d’armes produits ailleurs.
Ainsi, les EAU sont devenus un fournisseur régional d’armes. Les produits les plus importants de cette industrie qui ont été exportés jusqu’à présent comprennent les véhicules blindés, les drones et les petits navires de transport. Ainsi, le pays du Golfe est devenu l’un des 20 plus grands exportateurs d’armes durant la période 2015-2019, ayant augmenté le volume de leurs exportations de 86% comparés aux chiffres de 2010-2014. Au cours de la décennie 2010-19, les principaux destinataires d’armes des Émirats arabes unis ont été l’Égypte, la Libye et la Jordanie.
Dans l’ensemble, les Émirats arabes unis ont exporté leurs armes principalement vers les pays du Moyen-Orient (55% du volume total) et d’Afrique (35%). Les deux tiers des exportations des EAU entre 2010 et 2019 étaient des véhicules blindés. Il s’agissait notamment de véhicules blindés Panthera T6 pour l’Égypte (y compris la production sous licence) et le Cameroun. En outre, les EAU ont livré des véhicules blindés Cougar au Nigeria, au Soudan du Sud, au Yémen et peut-être en Égypte, et un véhicule blindé Nimr à l’Algérie, au Turkménistan et au Yémen. Environ un quart (27%) des exportations des EAU étaient des équipements volants tels que les drones Yabhon produits localement.
À quand le décollage ?
Pour la Tunisie, en revanche, les dépenses dédiées à l’armement ne font qu’accroître. Sur 137 pays classés par le Stockholm International Peace Research Institute, la Tunisie est passée du 92ème pays importateur d’armes en 2015 au 69ème pays en 2016. Les premiers exportateurs pour la Tunisie sont les USA, la Turquie, la France et le Canada. En 2019, notre pays aurait dépensé 2.9 milliards de dinars pour l’acquisition d’armes. Ce chiffre a connu une croissance considérable durant la dernière décennie sous l’impulsion de l’aggravation de la menace terroriste. De fait, les chiffres du SIPRI montrent que les dépenses militaires ont connu une hausse de 259% par rapport aux chiffres de 2010.
Certes, il n’est pas question de tabler sur l’autosuffisance, du moins pas pour le moment, mais il est important pour Aouij que la Tunisie se donne les moyens pour assurer une partie de ses besoins en équipements militaires. Et s’il y a une activité où la Tunisie doit investir en urgence, c’est celle de la fabrication des drones. “Les guerres de demain seront combattues entre des armées de drones”, a assuré l’expert. “Et la Tunisie doit commencer à développer l’expertise nécessaire à cet effet”, a insisté Aouij. Autre outil clé pour les guerres de demain que la Tunisie doit fabriquer en local ? “Les radars”, affirme le marchand d’armes. “Détecter les drones avant qu’ils n’attaquent serait un facteur clé pour gagner les batailles de demain”, a-t-il ajouté. Et de conclure: “Il est temps que nos politiques soient conscients de la gravité de la situation et d’agir au plus vite”.
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