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Pour une création d’emplois à grande échelle en Afrique, les stratégies de digitalisation doivent offrir des solutions numériques à l’économie non numérique

Le numérique représente une importante opportunité de développement en Afrique, notamment à l’ère post-Covid où la dématérialisation semble de plus en plus plébiscitée. Un rapport publié récemment par l’Union Africaine et l’Organisation de coopération de développement économique met, en revanche, en lumière l’ensemble de lacunes qui peuvent impacter ce potentiel. Détails.

La digitalisation – l’utilisation des technologies, des données et de l’interconnexion numériques pour transformer les activités existantes ou en créer de nouvelles − est en bonne voie dans les cinq régions africaines. Le continent a enregistré plusieurs réussites retentissantes et dispose d’écosystèmes dynamiques. La révolution des services de paiement mobile en est un exemple bien connu : avec 300 millions de comptes – chiffre le plus élevé au monde –, les services de paiement mobile ont commencé à transformer les marchés de l’emploi africains, à élargir l’accès aux services financiers aux populations non bancarisées et à ouvrir l’accès à des modèles commerciaux innovants aux petites et moyennes entreprises locales.

Le secteur africain des télécommunications, qui est au cœur de la transformation digitale, a affiché une croissance robuste en termes de nombre d’abonnés, de chiffre d’affaires et de dépenses d’investissement. Actuellement, plus de 500 entreprises africaines proposent des innovations technologiques dans le domaine des services financiers.

Johannesbourg et Le Cap en Afrique du Sud, Nairobi au Kenya et Lagos au Nigeria se classent parmi les 100 premières villes au monde du point de vue des écosystèmes de fintech. Un nombre croissant de startups et de jeunes Africains férus de technologies numériques tirent parti de ces technologies et des besoins spécifiques de l’Afrique pour déployer des modèles d’activités à forte croissance. La valeur de certaines startups africaines est actuellement estimée à plus de 1 milliard USD. Plus de 640 technopoles et incubateurs sont actifs au sein du continent, contre 314 en 2016. Néanmoins, pour atteindre les objectifs de l’Agenda 2063 et assurer une création massive d’emplois pour les jeunes, la transformation digitale doit se diffuser au-delà de ces îlots de réussite.

Les infrastructures de communication se sont régulièrement développées, et les perspectives de mise en œuvre de nouveaux projets demeurent robustes. En 2018, le financement des infrastructures numériques s’est élevé à 7 milliards USD, dont 80 % avaient pour origine des investisseurs privés. La capacité totale de la bande passante entrante internationale au sein du continent a été multipliée par plus de 50 en seulement dix ans pour atteindre 15.1 téraoctets par seconde en décembre 2019, contre seulement 0.3 To/s en 2009. Le réseau de fibre optique opérationnel est passé de 278 056 kilomètres en 2009 à 1.02 million de km en juin 2019. Le nombre d’abonnements de téléphonie mobile a plus que doublé en une décennie et 88 personnes sur 100 en possédaient un en 2018. Environ 58% de la population vit désormais dans une zone couverte par des réseaux 4G. À travers les programmes phares de l’Agenda 2063, l’Union africaine met en œuvre 114 projets d’infrastructures des TIC qui visent à améliorer les principaux points d’échange Internet, à construire de nouvelles infrastructures de fibres optiques à haut débit et à moderniser les dorsales optiques terrestres existantes.

La jeunesse et le degré de qualifications de plus en plus élevé de la population africaine sont un autre facteur d’accélération de la transformation digitale du continent. Le nombre d’Africains âgés de 15 à 29 ans ayant atteint un niveau d’études correspondant au deuxième cycle du secondaire ou à l’enseignement supérieur est passé de 47 millions en 2010 à 77 millions en 2020. Cette progression est particulièrement notable en Afrique du Nord, où 47% des jeunes ont au moins atteint un niveau d’études correspondant au deuxième cycle du secondaire. Dans les scénarios de maintien du statu quo, ce chiffre s’élèvera à 165 millions dès 2040. En termes relatifs, le pourcentage de jeunes Africains menant à bien des études de deuxième cycle du secondaire ou d’enseignement supérieur pourrait atteindre 34% d’ici 2040, se rapprochant ainsi du pourcentage observé en Asie, contre 23% aujourd’hui. Ce chiffre pourrait même atteindre 73% (233 millions) à l’horizon 2040 si les pays africains parviennent à reproduire la stratégie d’éducation accélérée mise en œuvre par la Corée.

Malgré les progrès mentionnés ci-dessus, les personnes qui bénéficient des perspectives d’emploi créées par la transformation digitale de l’Afrique sont trop peu nombreuses. Les entreprises de télécommunications et les 20 startups africaines à plus forte croissance emploient environ 300 000 personnes. À lui seul, le secteur numérique ne parviendra manifestement pas à offrir une formation et des emplois aux 29 millions de jeunes par an qui fêteront leur 16e anniversaire d’ici 2030. Les fortes inégalités sur le marché du travail limitent la probabilité que la transformation digitale crée des emplois de qualité. Les inégalités du point de vue de l’accès au numérique et des capacités dans ce domaine se manifestent selon trois dimensions interdépendantes, spatiale, sociale et relative à la compétitivité. D’abord, la concentration de l’économie numérique dans les plus grandes villes du continent accentue l’inadéquation spatiale entre les opportunités d’emplois et la population. Bien qu’aux alentours de 70% des jeunes Africains (soit 1.4 milliard d’entre eux) résident dans les zones rurales, seulement 25.6% des habitants des zones rurales africaines disposent d’un accès Internet, contre 35.2% en Asie et 40.1% en Amérique latine. Aussi, pour la grande majorité de la population en âge de travailler d’Afrique, le secteur informel reste le principal moyen d’entrer sur le marché du travail. Il en est ainsi pour 75 % des diplômés de 15 à 29 ans et pour 88 % des femmes. Les travailleurs informels n’ont que peu recours aux technologies numériques: seulement 16 % des travailleurs indépendants utilisent régulièrement Internet, contre 58 % des salariés. Également, le continent compte certes un grand nombre d’entrepreneurs en phase initiale, mais l’écosystème de financement demeure fragile. Les entrepreneurs à fort potentiel doivent s’accommoder d’un environnement réglementaire insuffisant pour développer leurs activités et innover. Cela compromet la compétitivité du secteur privé, surtout parmi les micro, petites et moyennes entreprises.

Les perspectives de création d’emploi reposent en majorité sur la diffusion des innovations digitales à d’autres secteurs, plutôt que de prendre la forme d’emplois directs dans les secteurs numériques. Les possibilités réelles de création d’emplois à grande échelle résident dans la diffusion des innovations numériques des entreprises de pointe dans le reste de l’économie. Le rôle des gouvernements consiste à créer un environnement qui permette aux nombreux acteurs du secteur privé de tirer parti de la digitalisation.

La diffusion des innovations numériques dans l’ensemble de l’économie permettra au secteur privé de créer davantage d’emplois. Bien que de nombreux pays africains aient élaboré des stratégies de digitalisation, celles-ci sont en règle générale exclusivement axées sur le secteur numérique. La plupart des stratégies visent à étendre la couverture des réseaux d’infrastructure de communication, à promouvoir les technopoles et les parcs technologiques et à mettre en œuvre des réformes réglementaires pour attirer les grandes entreprises. Elles ne ciblent que certains secteurs et tendent à négliger les possibilités de se servir de la digitalisation pour transformer les secteurs non numériques.

De nouvelles stratégies de digitalisation peuvent remédier aux inégalités spatiales, sociales et sur le plan de la compétitivité observées sur le marché du travail et fournir des solutions numériques à l’économie non numérique. Pour remédier à ces inégalités, le présent rapport recommande que les décideurs politiques accordent une attention toute particulière à trois grands axes d’action : i) assurer la diffusion des innovations numériques au‑delà des grandes villes, ii) aider les travailleurs informels à accroître leur productivité et iii) donner aux entreprises les moyens de soutenir la concurrence numérique. Les chapitres 1 à 7 du rapport examinent un large éventail de politiques susceptibles de remédier aux lacunes des stratégies actuelles de manière à créer des emplois de qualité dans les cinq régions africaines.