Encore une fois, le bitcoin fait la une des journaux dans le monde. La monnaie digitale a, en effet, dépassé pour la première fois la barre psychologique des 40 mille dollars la pièce. Cette fois-ci, en revanche, ce sont quelques-uns des plus grands investisseurs institutionnels qui y ont investi. Pour essayer de comprendre ce qui se passe dans le monde encore peu compréhensible du bitcoin, Le Manager a contacté Lionel Rebibo, cofondateur et CEO de Trakx.io. Basée à Londres, l’entreprise a développé et gère l’une des plus grandes plateformes de gestion de digital assets dans le monde. Interview.
Comment expliquez-vous la hausse du prix du bitcoin à plus de 40 mille dollars ?
La hausse de prix qu’a connue le bitcoin dernièrement est due à plusieurs facteurs clés. Premièrement, le fait que les investisseurs sont en train de pénétrer massivement ce marché. De leur côté, les stratégistes sont en train de se fixer des objectifs de prix très élevés sur le bitcoin, allant parfois à 150 mille dollars. L’entrée sur le marché de plusieurs grands investisseurs institutionnels qui y ont injecté des centaines de millions de dollars a boosté la demande. Une autre technique aurait aussi contribué à cette flambée de prix. Le 22 décembre dernier, le Securities and Exchanges Commissions [l’équivalent du CMF aux USA, NDLR] avait épinglé l’entreprise Ripple, éditrice d’une autre célèbre blockchain qui gère une crypto-monnaie qui s’appelle XRP, pour fraude. Les détenteurs de cette monnaie se sont donc précipité à convertir leurs assets en bitcoin, exerçant une pression haussière sur le prix.
Avec autant d’éléments impactant considérablement le prix du bitcoin, n’y a-t-il pas un risque de bulle ? Sommes-nous face à une nouvelle Tulipomanie ?
Vous faites certainement référence à la chute des prix qui a frappé le bitcoin lors de son premier pic au début de l’année 2019. Il faut savoir qu’à l’époque, plusieurs mineurs de bitcoin ont voulu profiter des prix en hausse et ont procédé à la vente des coins qu’ils génèrent. Ceci a poussé le prix vers le bas. Ce phénomène a déclenché une réaction en chaîne qui a vu les investisseurs particuliers — qui ne sont pas très bons pour garder leur position — se précipiter à vendre leurs coins. Avec une part de 80% de la base investisseurs, ceci avait certainement des conséquences importantes sur le prix. Ces facteurs expliquent la chute brusque des prix du bitcoin à l’époque. Et je ne pense pas qu’il s’agit d’une nouvelle Tulipomanie. Les tulipes n’avaient aucun usage. Ce n’est pas le cas du bitcoin. Je peux vous dire que le bitcoin est aujourd’hui l’actif le plus sécurisé dans le monde.
Sauf que le bitcoin peine à séduire le grand public en tant que moyen de paiement…
C’est vrai. C’est parce que le bitcoin n’est pas un moyen d’échange. La technologie sur laquelle se base le bitcoin a été mise en place non pas pour en faire un moyen d’échange mais pour faciliter le transfert de propriété. Si vous envoyez du bitcoin, sa valeur peut varier à la hausse ou à la baisse de 10% avant même qu’elle n’arrive au destinataire. Le bitcoin est en revanche une excellente réserve de valeur, au même titre que l’or. Plusieurs grandes entreprises d’investissement ont récemment acquis d’énormes quantités de bitcoin pour se protéger contre les risques du marché. Mais contrairement à l’or, les crypto-assets sont beaucoup plus accessibles; une personne en Afrique peut accéder et gérer facilement ses bitcoins sur son téléphone mobile où qu’elle soit. En outre, le bitcoin jouit d’une plus grande transparence — plus jamais donc de mines obscures, où les travailleurs souffrent de conditions abominables. Je pense qu’avec le temps, nous aurons un changement de mentalité qui va permettre à plus de gens d’apprécier le bitcoin comme valeur refuge.
Certaines banques centrales se mettent à lancer des monnaies digitales, ou des CBDC. Est-ce une menace ou une opportunité pour le bitcoin ?
La blockchain sur laquelle se base le bitcoin et plusieurs autres crypto-monnaies est totalement décentralisée, utilisant des mécanismes dits permissionless, i.e. aucune permission n’est nécessaire pour y accéder et utiliser ces différentes fonctionnalités. À mon avis, les banques centrales vont vouloir contrôler la monnaie digitale qu’elles vont lancer. Les deux systèmes peuvent bel et bien coexister. En revanche, avoir une blockchain jouissant du cours légal peut déverrouiller un énorme potentiel qui n’est actuellement pas accessible. Ainsi, on peut imaginer un système basé sur la blockchain pour l’émission d’obligations ou de crédits qui seraient beaucoup plus efficients, transparents et, surtout, moins chers. Ces CBDC peuvent cannibaliser les stablecoins, qui sont des crypto-monnaies adossées à la monnaie fiduciaire pour minimiser leur volatilité. Avec des CBDC émises par les banques centrales elles-mêmes, le besoin d’avoir des stablecoins peut ne plus exister.
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