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Pratiques anticoncurrentielles: une étude de l’OCDE épingle les manquements de la loi tunisienne

Les pratiques anticoncurrentielles font depuis quelques mois la une des médias avec l’accélération de la campagne de lutte contre le monopole annoncée par le président Kaïs Saïed.

Le Conseil de la concurrence et la Direction générale de la concurrence et des enquêtes économiques sont les deux organismes chargés de la mise en place des politiques et de la mise en œuvre des règles de la concurrence en Tunisie.

Notre pays a été en effet l’un des premiers d’Afrique et du Moyen-Orient à adopter une loi sur la concurrence en 1991. Celle-ci a été modifiée à plusieurs reprises avant l’adoption en 2015 du cadre juridique actuellement en vigueur.

Le droit et la politique de concurrence en Tunisie ont été l’objet d’un benchmark élaboré par l’OCDE qui a permis de comparer les cadres réglementaire et institutionnel du pays à ceux d’économies comparables.

Déjà, sur le plan institutionnel, les auteurs de l’étude ont souligné que le Conseil de la concurrence n’est pas en mesure de soulever des questions et de soumettre des propositions de sa propre initiative devant le ministre du Commerce ou un autre ministre du gouvernement. Le conseil ne peut donc que répondre aux demandes qui lui sont soumises par les commissions parlementaires, le ministère du Commerce ou les autorités de régulation sectorielles.

Également, ni le Conseil de la concurrence ni la DGCEE n’ont mené à ce jour d’études sectorielles de marché, ni mis en place des lignes directrices ou de méthodologie pour les études futures qui sont, d’après les experts de l’OCDE, “un outil efficace pour examiner les conditions de concurrence dans un ou plusieurs secteurs”.

Aussi, ils ont souligné que les cadres réglementaire et institutionnel n’ont pas été suffisants pour assurer l’application des règles de la concurrence en Tunisie, notant que les ressources humaines et budgétaires allouées aux organismes de concurrence du pays sont “relativement modestes au regard des standards internationaux”.

“L’analyse des données budgétaires et des ressources humaines par groupes de pays disponibles dans la base de données COMPSTATS de l’OCDE montre que les ressources du Conseil de la concurrence restent bien en dessous du niveau moyen des autorités de concurrence de pays comparables”, lit-on dans le document.

Dans le cas de contrôle des concentrations, par exemple, les auteurs de l’étude ont indiqué qu’en cas de fusion ou d’acquisition d’une entreprise par une autre, les autorités compétentes ont un délai de trois mois pour donner leur avis. “Le délai reste le même quelle que soit la complexité des problématiques de concurrence”, ont indiqué les auteurs du rapport. Ajoutant que le Conseil de la concurrence n’émet “qu’un avis non contraignant” qui est généralement suivi par le ministre.

L’étude pointe du doigt le fait que l’appréciation des autorités se fonde principalement sur une analyse juridique et de respect des textes législatifs plutôt que sur “une évaluation de l’impact économique probable de la concentration”.

La décision finale peut résulter de l’imposition d’engagements structurels ou comportementaux, mais d’après les auteurs de cette étude, l’analyse a montré que, dans la pratique, les mesures sont principalement comportementales et, depuis 2016, aucune décision d’autorisation n’a imposé de mesures correctives structurelles.

En guise de conclusion, les experts de l’OCDE ont élaboré une liste de recommandations pour améliorer l’application des règles de la concurrence en Tunisie:

1. Renforcer le mandat et les pouvoirs du Conseil de la concurrence et assurer son indépendance, notamment en clarifiant et séparant les pouvoirs avec le ministère du Commerce.

2. Renforcer les ressources budgétaires et humaines du conseil, notamment en explorant de nouvelles pistes, afin d’identifier des voies de financement en dehors de l’allocation budgétaire du gouvernement.

3. Renforcer l’utilisation du programme de clémence et améliorer celle des techniques d’enquête d’office comme instruments de lutte contre les ententes injustifiables.

4. Permettre au Conseil de la concurrence de négocier et de conclure à la fois des transactions et des décisions d’engagements relatives à toutes les pratiques anticoncurrentielles.

5. Transférer les compétences sur le contrôle des concentrations au Conseil de la concurrence avec des critères clairement définis à suivre lors de l’évaluation des concentrations et accorder au ministre chargé du commerce, à titre exceptionnel, le pouvoir d’adopter une décision différente motivée par des raisons d’intérêt général prévues par la loi autres que la protection de la concurrence.

6. Revoir les critères de notification, en ajoutant un deuxième barème au critère de notification basé sur les chiffres d’affaires pour considérer également celui de la société cible. Considérer aussi les avantages et désavantages d’un critère de notification fondé sur les parts de marché.

7. Créer une procédure simplifiée pour la notification des concentrations qui ne donne guère lieu à des problèmes de concurrence.

8. Donner au Conseil de la concurrence le pouvoir de soumettre au ministère du Commerce des propositions sur des textes législatifs et réglementaires (lois, décrets gouvernementaux, arrêtés et cahiers des charges) de sa propre initiative, sans qu’il soit préalablement saisi.

9. Élaborer des lignes directrices publiques pour renforcer la sécurité juridique et la prévisibilité de l’action des organes chargés de la concurrence, par exemple en matière de définition du marché pertinent, de calcul des amendes, d’analyse de certains types d’accords.

10. Améliorer la coopération avec les régulateurs sectoriels et les institutions régionales et internationales.