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Chedia Bichiou: “Le secteur bancaire a beaucoup à faire en termes de développement du gender diversity”

Le 9 septembre dernier, toute la presse économique mondiale a annoncé la nouvelle: Jane Fraser a été nommée à la tête de Citigroup. Elle devient ainsi la première femme à se hisser au poste de CEO d’une grande banque de Wall Street. Deux jours auparavant, en Tunisie, une autre femme a réussi à briser le plafond de verre. Son nom ? Chedia Bichiou, Acting CEO de Bank ABC Tunisie. Au Manager, nous n’avons pu nous empêcher d’aller à sa rencontre pour qu’elle nous accorde sa première interview après sa nomination. Sur son parcours riche et diversifié, sur le « gender diversity » dans le secteur bancaire ― un sujet qui lui tient particulièrement (à cœur) ― et sur ses futurs plans, Bichiou nous a parlé à cœur ouvert. Écoutons-là.

Vous êtes, à ma connaissance, aujourd’hui la seule Directrice Générale d’une banque tunisienne et ayant déjà dirigé une banque off-shore. Permettez-nous de faire plus ample connaissance.

Après avoir eu ma licence en informatique de gestion, un domaine peu connu à l’époque, j’ai rejoint la BCT qui m’a parrainée pour intégrer la première promotion de l’Institut de financement et de développement (IFID). De retour à la BCT, j’ai intégré plusieurs départements dont ceux de contrôle banques, de crédit et des finances extérieures. J’ai aussi fait partie d’une Unité, dite de gestion de l’actif et du passif, dont la mission était de gérer la dette extérieure du pays. C’était un projet innovant, recommandé aux autorités tunisiennes par la Banque mondiale.
Suite à ce passage, j’ai décidé de mener une nouvelle expérience professionnelle.

Pour quelle destination ?

Pour rejoindre Arab Banking Corporation. C’était en 1993, au moment où le groupe ABC a décidé de faire évoluer son Bureau de Représentation en Tunisie en une Succursale Offshore. Avec une équipe d’à peine 13 personnes, nous avons mis en place les bases de la nouvelle banque. En 2000, le groupe a lancé sa filiale Onshore, ABC Tunisie, dans laquelle j’ai également dirigé plusieurs départements, notamment le Crédit et Risque et la Trésorerie. En 2018, j’ai été promue Directrice Générale d’ABC Tunis (Offshore) poste que j’occupais jusqu’à ma nomination le 7 septembre dernier en tant que Acting CEO de Bank ABC Tunisie (Onshore) et Country Manager de Bank ABC en Tunisie. Que je sois aujourd’hui la seule femme à la tête de la Direction Générale d’une banque en Tunisie est la preuve que le secteur bancaire a beaucoup à faire en termes de développement du « gender diversity ».

Quels sont les jalons de votre carrière et les réalisations dont vous êtes la plus fière ?

Toutes mes réalisations antérieures n’ont fait que construire ma carrière. Car, à mon avis, toute expérience ou passage professionnel a son importance. Cela dit, je pense que le lancement en 1993 du marché de changes est l’une de mes meilleures expériences. À la BCT, j’ai eu le privilège de faire partie de l’équipe qui a piloté le projet dès sa conception puis de diriger la salle des marchés à Bank ABC. Cette expérience m’a permis de nouer une forte amitié, qui perdure jusqu’à aujourd’hui, avec tous les trésoriers et les traders de la place. ABC a adopté différentes stratégies suivant l’évolution du marché et la conjoncture économique, auxquelles j’ai contribué avec dévouement. Je suis aussi très fière d’être proche de mes collègues. Et en tant que première responsable de la Bank ABC en Tunisie, je suis fière d’être un modèle à plus d’un titre, d’abord parce que je suis une femme qui a réussi l’équilibre entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle. Ensuite, parce que, pour la première fois, le groupe ABC a choisi une personne parmi ses équipes pour la hisser à la place d’un dirigeant.

Et comment décririez-vous votre style managérial ?

Dans ma manière de manager, je dirais que je suis aussi bien « result-oriented » que « People oriented » ; quand je me fixe un objectif, je n’épargne aucun effort pour faire adhérer mes équipes à la réalisation de notre objectif commun. Et je suis toujours ouverte à toutes les propositions mais assez stricte pour le suivi des projets que je lance.

En tant que femme-manager, quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées lors de votre parcours dans le secteur bancaire ?

Au début de ma carrière, j’ai constaté que les compétences des femmes dans le secteur sont souvent sous-estimées. C’est ce qui m’a toujours poussée à aller de l’avant et m’a encouragée à lever plus de défis. Je crois que chacun d’entre nous a le droit de se réaliser et apporter sa pierre à l’édifice.

Quelles qualités et/ou compétences distinctives vous ont permis de dépasser ces obstacles ?

Je suis toujours égale à moi-même et je me remets en question spontanément. J’ai toujours respecté les différences des gens. À mon avis, ceci est très important. Il faut toujours prendre conscience de ses points forts et ses limites pour pouvoir s’améliorer continuellement et avancer, aussi bien sur le plan professionnel que personnel.

Avoir une femme au poste de direction générale changera-t-il la culture de la banque ?

La culture de la banque ABC est basée sur la méritocratie nonobstant le genre. Nous avions la même culture du temps de Monsieur Ali Kooli. C’est le mérite qui détermine le choix de la personne; celui qui donne les meilleurs résultats, celui qui représente au mieux son travail, qui avance et aide l’institution à avancer sera récompensé, indépendamment de son genre. Cela dit, j’ai été réellement émue quand Son Excellence le Gouverneur de la BCT m’a souhaité la bienvenue en soulignant que le secteur doit changer pour laisser plus de place aux femmes.

En termes d’égalité des chances, quelles seront vos prochaines actions au sein de la banque ?

Je pense qu’il est temps d’inverser la donne pour atteindre une mixité parfaite dans la banque. Mais il faut reconnaître qu’à chaque fois qu’on a essayé d’attirer un profil lors de nos recrutements, les mieux lotis sont le plus souvent les femmes. Et à Bank ABC, nos seuls critères de choix sont le talent et la compétence… rien d’autre.

Comment comptez-vous adresser la question de l’inclusion financière des femmes et la difficulté que les entrepreneures rencontrent pour financer leurs projets ?

Le soutien des femmes entrepreneures, et de la femme en général, a toujours été un élément essentiel dans nos actions RSE. C’est dans ce cadre que Bank ABC n’a jamais hésité à financer des entreprises dirigées par des femmes. D’après mon expérience, ces entreprises sont généralement assez performantes, bien structurées et optimisées. Personnellement, je soutiendrai toujours la cause de l’inclusion financière des femmes.

Un mot pour les filles et femmes dans le domaine des finances et qui pensent que le secteur est plus masculin que nécessaire ?

Je leur dit qu’il faut raisonner compétences. Il n’a jamais été question de femme ou d’homme. La voie est libre aux méritants et méritantes. Je leur dit aussi : Bourguiba vous a fait confiance, il faut continuer son œuvre. Notre pays regorge de talents féminins et vous êtes une fierté pour la Tunisie.