L’économie sociale et solidaire est au coeur de l’économie européenne, en générant plus de 10% des emplois de l’Union Européenne. En Tunisie, en revanche, sa portée est encore moins prononcée: elle ne représente que moins de 1% du PIB et 0.6% des emplois. Comment réduire cet énorme gap entre le potentiel de l’ESS et les réalisations sur le terrain ? Une étude réalisée mi-2020 peut nous apporter des éléments de réponse.
“L’ESS n’est pas un concept nouveau en Tunisie”, a souligné Ouissem Ghorbel, CEO de Matine Consulting et auteur de l’étude intitulée “État des lieux de l’ESS en Tunisie”. “La première coopérative a été créée en 1924 par Mohammed Ali Hammi et l’expérience s’est développée pour donner naissance, en 1946, à l’UGTT”, a-t-il ajouté.
Pour les Tunisiens, en revanche, c’est le flagrant échec de l’expérience des “unités coopératives de production” en 1964 qui a marqué le plus leurs esprits. En revanche, le pays a connu plusieurs autres expériences qui ont eu des résultats nettement plus positifs. “Le plan laitier lancé en 1986”, souligne l’interlocuteur, “a permis au pays d’atteindre son autosuffisance en lait”.
Mais c’est après la révolution que l’ESS a eu son heure de gloire : elle a été insérée dans le plan quinquennal 2016-2020 qui a abouti, en juin 2020, à la loi sur l’ESS, rappelle Ghorbel.
Un état des lieux
Réalisée dans le cadre d’une collaboration avec iesMed, cette étude a permis de recenser 270 coopératives, 48 mutuelles et plus de 23 mille associations actives dans l’économie sociale et solidaire. “Contrairement au reste du monde, où l’ESS est portée principalement par les services, en Tunisie nous avons constaté une forte présence de l’agriculture et de l’éducation”, a affirmé Ouissem Ghorbel. Et d’ajouter: “En Europe, par exemple, plus de 90% des acteurs de l’ESS sont dans le secteur tertiaire”.
En ce qui concerne le faible impact de l’ESS dans l’économie nationale, Ghorbel explique ceci par le manque d’appui et d’accompagnement au profit des acteurs de l’ESS. Ici, l’interlocuteur précise qu’il ne s’agit uniquement pas de soutenir les mutuelles et les coopératives, mais aussi toutes les composantes de l’ESS y compris les administrations, les facilitateurs ― les centres de recherches, les think-tank, etc. ― et les institutions financières.
“Ces acteurs ont besoin d’un accompagnement qui permet de mieux cerner les dimensions de l’ESS et d’adapter leurs outils pour mieux promouvoir l’ESS”, a indiqué l’expert. Et d’ajouter: “Nous avons recensé des dizaines d’institutions financières et aucune d’entre-elles n’a mis en place des offres et des outils financiers adaptés aux acteurs de l’économie sociale et solidaire”, a-t-il ajouté. L’expert souligne dans ce cadre que la loi sur le crowdfunding est un premier pas qu’il faut compléter par la mise en place de fonds d’investissement avec une logique de développement et avec des paramètres économiques adaptés en termes de rendement, de TRI. Aussi, selon l’expert, des outils juridiques doivent exister dans l’administration pour faciliter la tâche aux acteurs de l’ESS.
Les chantiers urgents
Selon l’expert, 5 chantiers importants et urgents sont à traiter pour que l’ESS atteigne son plein potentiel. D’abord, il faut poursuivre les réformes réglementaires en adoptant les décrets d’application pour la loi ESS pour que cette dernière puisse être appliquée. Aussi, l’expert appelle à la mise en place de l’Instance tunisienne de l’économie sociale et solidaire, édictée par la loi en question. Sans oublier de “procéder à la réforme de statut de certains acteurs existants”, souligne Ouissem Ghorbel.
En ce qui concerne le financement, l’expert appelle à développer des mécanismes de financement appropriés à soutenir l’économie sociale et solidaire, tels que la banque coopérative. D’après Ghorbel, “cet axe doit être développé en collaboration entre les autorités, notamment la Banque centrale et le ministère des Finances, ainsi que les institutions de microfinance, de la BTS mais aussi les banques commerciales”.
L’expert a aussi appelé à la mise en place d’un cadre pour permettre aux acteurs du secteurs de discuter et de mutualiser leur énergie et savoir-faire. En ce qui concerne les entrepreneurs et les porteurs de projets dans l’ESS, Ouissem Ghorbel appelle aussi à renforcer leur accompagnement notamment pour l’identification des opportunités, et pour leur faciliter l’accès aux financements et aux marchés.
L’expert a aussi tenu à mettre l’accent sur l’importance, et l’urgence, de mettre en place ces chantiers car l’ESS “a un potentiel important d’employabilité qui peut atteindre les 200 mille emplois”, a-t-il souligné. Et de conclure: “En Tunisie, nous gagnerons à soutenir les acteurs de l’ESS”.
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