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L’assurance maladie est-elle prête à la télémédecine ?

La télémédecine semble pouvoir aider à surmonter quelques manquements du système de santé en Tunisie. Toutefois, l’assurance maladie est-elle prête à jouer le jeu ? Éclaircissements.

Face à cette crise sanitaire inédite, les médecins de ville sont en première ligne des risques de contagion du Covid-19. Éviter de se déplacer jusqu’au médecin ou à l’hôpital, sauf en cas d’urgence, est aujourd’hui encouragé. En de telles circonstances, il est judicieux de trouver des solutions innovantes pour satisfaire les patients en toute sécurité. La télémédecine est peut-être la solution.

Pas de soucis : la technologie permet aussi d’offrir de tels services que ce soit l’infrastructure (réseaux, …) ou le software sont aujourd’hui disponibles, mais le cadre légal est déjà en place. “Pour la téléconsultation et la télémédecine, la loi de 1991, régissant le système de santé, a été complétée en 2018 par un texte dédié ”, a indiqué au Manager Inès Ayadi, économiste de la santé. “Déjà, le ministère a commencé l’installation des équipements nécessaires dans quelques hôpitaux des régions intérieures du pays pour la télémédecine”, a-t-elle indiqué.

Seul hic, cependant : les textes d’application de cette loi n’ont toujours pas été publiés. Qu’à cela ne tienne ! Des solutions de télémédecine sont déjà disponibles sur le marché local. C’est le cas, par exemple de Tobba.tn. Fondée en 2018, la jeune pousse propose de mettre en relation des patients et des médecins à travers une plateforme web. L’entreprise a même obtenu le label Startup en 2019. “Nous avons eu des discussions avec des juristes ainsi qu’avec des responsables du ministère de la Santé avant le lancement de la plateforme”, a affirmé Imed Elabed, fondateur et CEO de l’entreprise. “Ils nous ont tous assuré de la légalité de notre activité”, a-t-il indiqué. Selon l’entrepreneur, son entreprise a mis en place toutes les mesures requises par le texte de loi en termes de sécurité des données, ainsi que pour la protection des données personnelles. En effet, la startup a déjà eu l’aval de l’Instance nationale de protection des données personnelles ainsi que le Certificat ISO 27001 pour la sécurité des données. “Et si les textes d’application exigeraient d’autres mesures, nous serons plus qu’heureux de les mettre en application”, a rassuré l’entrepreneur.

La télémédecine et l’assurance maladie

S’il y a encore un flou pour les plateformes de téléconsultation en Tunisie, c’est justement la question de la sécurité sociale. La CNAM prend-elle en charge les consultations à distance ? Selon Inès Ayadi et Imed Elabed, la réponse est négative. “En l’absence d’un texte clair, il n’est pas possible d’aspirer de profiter de la prise en charge de la CNAM.

Le fondateur de Tobba.tn est cependant optimiste. “Je pense que notre service va permettre d’avoir plus de transparence et de traçabilité au niveau des transactions, ce qui permettrait à la CNAM de lutter contre la fraude”, a-t-il indiqué. Mieux encore, Tobba.tn vise à centraliser la gestion de l’assurance maladie pour les médecins, et de leur permettre de gérer plus facilement leurs transactions avec plusieurs assureurs à la fois. Mouna Ben Othman, Maître assistante en économie à l’ESSECT et spécialiste des réformes du système de retraite, ne partage pas l’optimisme de Imed Elabed.

“Aujourd’hui, la CNAM n’est peut-être pas prête à intégrer ; dans le sens où l’état de ses finances est tel qu’elle fait défaut aux remboursements”, a-t-elle indiqué. En effet, la dette de la Caisse s’élève, à fin 2018, à plus de 3 milliards de dinars, précise Mouna Ben Othman. Ajouté à cela, une grande partie des médecins du secteur privé ainsi que des pharmaciens se sont désengagés de la CNAM. Il est de ce fait “difficile d’imaginer, dans ce contexte, d’intégrer une nouvelle forme de pratique de la médecine ou de nouvelles startups”, a-t-elle déclaré. L’experte a, en revanche, stipulé qu’il est “impératif d’y travailler dès aujourd’hui parce que le monde de la technologie n’attend pas”. Selon elle, il est nécessaire de procéder parallèlement sur deux volets : celui des finances de la CNAM et celui de la procédure de la numérisation des remboursements de la Caisse.

Digitaliser l’assurance médicale

Serait-il aussi pertinent de parler de la digitalisation de l’assurance maladie. La CNAM, qui souffre depuis des années d’énormes difficultés financières, gagnerait considérablement en accélérant davantage la dématérialisation de ses procédures. Et ceci aurait certainement un impact important sur l’ensemble du secteur de la santé. “La CNAM bénéficie d’une position particulière dans le système de santé tunisien”, a souligné Inès Ayadi. “Elle se trouve au centre du système avec, d’un côté, les affiliés, et de l’autre, les prestataires publics et privés”, a-t-elle ajouté. Ceci permet à la Caisse d’avoir une importante visibilité sur l’ensemble du système. Cela dit, le retard en termes de digitalisation ne permet pas, selon l’experte, de tirer pleinement profit d’une telle situation.

La carte de soins électroniques Labès, annoncée l’an dernier, pourrait être la solution tant attendue, permettant d’éviter le scénario des années 2013 et 2014. À l’époque, les affiliés à la formule médecin de la famille ont dépassé le plafond qui leur a été fixé par la Caisse, rappelle Ayadi. Toutefois, en l’absence d’un système digital de suivi en temps réel, ni les assurés ni la CNAM ne se sont rendus compte de la situation à temps. Et ce n’est pas tout : la digitalisation de la carte de soins devrait aussi permettre de faciliter la collecte de données fiables sur le système national de santé. “L’État aurait plus de données pour optimiser ses actions et améliorer la qualité des services proposés”, indique l’experte.

Mais la digitalisation est loin d’être une potion magique vu que le système de sécurité sociale tunisien a un besoin urgent de réformes. Ces dernières concernent principalement le système de retraite qui vit depuis deux décennies un déficit structurel. Mouna Ben Othman précise que cette situation est le résultat d’une mauvaise gestion conjuguée à une évolution démographique défavorable. Le recul de l’âge de départ à la retraite appliqué depuis juillet 2019 sur les travailleurs du secteur public est nécessaire.

Et de proposer « Seulement, d’autres mesures doivent suivre pour espérer un équilibre sur un moyen terme des Caisses de retraite. Ces réformes peuvent toucher le mode de calcul de la pension de retraite. Aussi, en France, la proposition soumise au Parlement consiste à appliquer un système à points. Ce dernier est une manière de lier les niveaux des pensions à celui des cotisations. Cela va assurer le versement des pensions des générations présentes et améliorer le bien-être des générations futures ».

Concernant l’assurance maladie, elle stipule que les réformes urgentes consistent à s’adapter à un système de santé qui se dématérialise de plus en plus et donc à offrir des moyens de remboursement en ligne. Ce genre de mesures va faciliter la vie du citoyen et de ce fait améliorer son bien-être.

(Nous avons tenté d’avoir l’avis de la CNAM sur la question, mais nous n’avons malheureusement pas pu avoir une réponse).