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Tous coupables de la mort du journalisme !

Alain Gresh écrivait dans Le Monde diplomatique, d’Octobre 1989, un article cinglant à l’époque, titré : « Grandeur et décadence des médias », pour souligner la dérive décadente des médias français, particulièrement dans leurs contenus, depuis les privatisations du secteur et l’avènement du numérique. Trois décennies plus tard, le cas se pose en Tunisie et nous n’en sommes toujours pas revenus, pour ne pas dire que nous sommes à la dérive.

Et si nous étions tous coupables de cette décadence médiatique que nous encourageons en acceptant de mordre à l’hameçon ? À moins que ce ne soit le nouveau modèle social individualiste, ce digital et la paresse intellectuelle entretenue qui l’accompagne ?

Dans tous les cas, c’est un fait, nous avalons en boucle une « chakchouka » médiatique, indigeste, qui conditionne tout un peuple. Un embrigadement volontaire qui nous soumet à une sorte d’influence sans fin, nous entraînant vers le bas. Le syndrome de Stockholm !

L’information crucifiée par le BUZZ

Trop nombreux et sans contrôle, les sites d’informations numériques se trouvent dans une compétition permanente, au mépris de la qualité et de l’objectivité, qui nécessiterait un minimum de travail d’investigation. Dans une course au nombre de vues, la Presse d’information écrite ou audiovisuelle n’a plus les moyens de mener des enquêtes sérieuses, préférant céder la place aux versions digitales moins coûteuses et donc plus rentables. Un changement radical, quand on repense à l’attente du JT de 20h, diffusé parfois à 22h, il n’y a pas si longtemps. Désormais c’est du 100% live.

Vous ne choisissez plus vos supports d’information, vous zappez, vous switchez inlassablement, d’un écran à un autre d’une fenêtre à l’autre. Finalement, le fond vous importe peu, ce sont les titres qui comptent et qui font l’audience ! À quoi bon écrire, produire ou réaliser des émissions qui au final intéressent peu, puisque plus le format est court, plus ça plaît.

Ainsi, l’article que vous lisez actuellement ne sera lu en entier que par 20% à 30%, de ceux qui l’auront ouvert, les autres se seront arrêtés au titre volontairement racoleur. La recherche du « BUZZ » est désormais le leitmotiv des médias en tout genre.

Le BUZZ n’est pas le SCOOP !

Nos médias d’information semblent faire une confusion majeure, volontairement ou non, mais le BUZZ, n’est pas le SCOOP. Si l’on se réfère à la traduction du BUZZ, c’est la propagation d’une rumeur, qui revêt parfois le contenu d’une information avérée ou pas. À contrario, le SCOOP est bien journalistique, puisque c’est une nouvelle exceptionnelle détenue et diffusée en exclusivité par un organe de presse. Cette différence majeure semble échapper à de nombreux rédacteurs du digital, qui sans le vouloir, et à la recherche à tout prix du BUZZ, falsifient l’information qu’ils croient être un SCOOP ! Quid donc de la déontologie de ces nouveaux « FAST » médias.

La culture du BUZZ ou la nouvelle identité des médias

L’envahissement digital arrivé sans préparation préalable en Tunisie a conduit la presse écrite, incapable de se repenser et d’adopter un format en adéquation avec le lecteur tunisien, à tendre vers la disparition, en laissant la place à une jeune presse électronique, pas toujours professionnelle et surtout sans un cadre légal précis. Ce vide cinglant engendre une permissivité qui conduit souvent à un amateurisme scandaleux, dont les conséquences auront été parfois très graves !

L’éthique journalistique et la déontologie qui l’encadre sont parfois étrangères à ces nouveaux médias qui remplacent progressivement la presse écrite. Dans un espace ouvert et libre comme Internet, il est compliqué d’instaurer des règles et il est surtout difficile de s’y tenir. Les journaux électroniques sont bel et bien devenus des chasseurs de BUZZ et auront oublié le SCOOP. Avec une frange importante de la jeunesse tunisienne, devenue quasi-analphabète, le contenu doit être désormais imagé ou en vidéo pour garantir le plus large auditoire. Désormais, les médias doivent attirer un public toujours plus nombreux et non le fidéliser, voilà ce à quoi nous sommes arrivés, avec un slogan simple, « Soyez infidèles, papillonnez, d’alertes en notification », informez-vous !

Plus le temps de comprendre et encore moins d’analyser, on vous donne la réflexion toute faite, on vous offre même l’image qui va avec, alors suivez et ne vous arrêtez surtout pas, on s’occupe de tout.

Les médias font l’information

En Europe, la Presse écrite devenue digitale, a été contrainte à un changement radical dans son contenu, passant du simple traitement d’information à un contenu rédactionnel plus pointu et plus élaboré, offrant une analyse et une réflexion approfondie en opposition aux brèves d’information accessibles partout. De la chaîne info aux journaux électroniques, l’objectif est simple, informer en temps réel et rien de plus ! Ainsi, la plume experte et d’investigation, bien que devenue clavier, renaît de ses cendres et porte désormais l’image du sérieux rédactionnel, donnant même naissance à des journaux électroniques de qualité, devenus des références dans le journalisme d’investigation, je citerai ici, #mediapart à titre d’exemple. Plus de BUZZ donc, laissé pour les médias people et gratuits, préférant la recherche de SCOOP, pour des lecteurs avertis et alertes.

Chez nous, le public tunisien est bel et bien conditionné, il suit de titre en titre d’information en information et oublie de vérifier le contenu et la source pour se faire une idée ! La presse électronique, adossée aux réseaux sociaux, est devenue la première ligne des BUZZ en tout genre, engendrant une saturation générale et un scepticisme permanent quant à l’authenticité des informations publiées.

La télévision devenue le média de la désinformation !

En attendant l’arrivée d’une chaîne d’information en continu, comme chez nos voisins arabes ou européens, la télévision tunisienne vit avec l’espoir de la « breaking news » qui permet de stopper n’importe quelle émission, (un peu comme l’appel à la prière), pour faire semblant d’être les premiers informés et donner le sentiment que c’est important et que tout doit s’arrêter. Aussi pour que le téléspectateur ne s’ennuie pas pendant les informations ou les débats (ce qu’on peut comprendre), on lui met en sous-titre d’autres infos qui n’ont rien à voir avec le sujet traité, évitant ainsi réflexion et concentration ; en même temps, le téléspectateur peut vérifier sur les réseaux sociaux s’il n’y a pas une « fake news » qui traîne.

Mais la spécificité tunisienne réside dans la prolifération d’un nouveau genre d’information hybride diffusé sur toutes les chaînes avec une « humiliation » de l’information, malmenée par des clowns, saltimbanques, bimbos et autres experts de comptoir, dans un format de talk show, qui se veut une cacophonie abjecte, dont on ne retiendra que la dérision de sujets sérieux.

Ce genre de programmes animés, par des incultes notoires, autrefois animateurs pousse disque de radios musicales, occupent désormais toutes les soirées de la semaine, s’invitant dans les foyers populaires, avec pour mission abrutir et surtout ridiculiser l’information sérieuse et particulièrement les questions politiques et économiques.

Triste est de constater que des journalistes et des personnalités de renom s’associent à ce crime civique, en participant à ces plateaux de la honte, qui contribuent à désintéresser les jeunes et les tunisiens en général de la chose publique.

Sans rechercher le BUZZ, rappelez-vous que parmi les animateurs érigés en vedette de ces talk shows, il y a des repris de justice ou encore un semblant d’humoriste et je vous passe les starlettes ou autres chanteuses de cabaret, qui donnent leurs avis sur les réformes de l’État ou encore le protocole diplomatique de la Présidence de la République !

Sauvons le journalisme !

En espérant un sursaut (utopique), des décideurs médiatiques, sachez, que ce qui est grave, c’est la manipulation des esprits et l’impossibilité de s’exprimer avec nuance et de remettre les choses à leur juste place qui prédomine actuellement. La bêtise, la cruauté, le nu font vendre et nous achetons bêtement. La démocratie des médias aura offert son flot de prêt-à-penser généralisé, pour une société encore plus acculturée et donc dominée ! Tout cela est bien rodé : scoop, Internet, presse, commentateurs télé, gros-titre, presse people, reprise de la presse people, hurlements de la contestation et on recommence.

Si la démocratisation des médias et l’avènement de la digitalisation des supports de diffusions ont pour finalité l’accélération de la décadence de l’intellect tunisien, alors sachons rester vintage, retournons à nos journaux papiers rédigés par de vrais journalistes, choisissons de vrais journaux électroniques (comme celui qui me publie lol), et optons pour la modernité en regardant NETFLIX ou Al SHAHED, plutôt que d’encourager la médiocrité de nos chaînes de télévision.