
Terra Delyssa, un nom qui sonne bien cette Tunisie éternelle ! Un label que porte une huile d’olive exceptionnelle devenue en si peu d’années la star des marchés américains et européens. Elle est le fruit de la passion d’un inconditionnel de l’huile d’olive qui a fait de ce métier une vraie mission tout à la gloire du pays. Abdelaziz Makhloufi, PDG du groupe CHO, spécialisé dans l’huile d’olive conditionnée, a franchi bien des épreuves et des étapes pour en arriver à ce stade, qui fait notre fierté nationale. Il avait décidé de rehausser le statut de l’huile d’olive tunisienne, de la valoriser et de la remettre à l’honneur. Un vrai challenge et un immense défi aux géants mondiaux au pouvoir inégalé qui ont la haute main sur la filière. Pari tenu, pari réussi à force de labeur et d’ingéniosité. Une réussite économique et commerciale qui confine à l’exploit. Et des exploits, il en a réalisé, le dernier en date, celui de la blockchain créée pour assurer la traçabilité de son produit auprès de consommateurs aujourd’hui avisés. Un coup commercial et marketing qui résonne fort en assurant une pérennité d’une marque, la sienne sur des marchés fortement concurrencés ! Entretien.
Parlez-nous de vos activités ?
Nous avons opté pour une intégration totale des activités. Celles-ci s’étendent sur toute la chaîne de valeur de l’industrie. Nos plantations s’étalent sur toute la République pour achalander l’activité de trituration. Les moulins à huile sont installés aux environs des lieux de production pour nous assurer de la qualité de l’extraction, du stockage et du conditionnement. Nous valorisons également plusieurs sous-produits allant de l’extraction de l’huile de grignons à la production du charbon en passant par le raffinage d’huile végétale. Nous avons également développé une gamme cosmétique. Pour toutes nos activités, notre exigence pour la qualité est la même. Nous avons obtenu plusieurs certifications internationales et notre laboratoire fait partie des 30 dans le monde agréés par le Conseil Oléicole International.
Parlez-nous des synergies développées de cette intégration sur toute la chaîne de valeur ?
Si nous devions chiffrer, ce serait à travers le rendement total. En ce qui nous concerne, le plus important réside dans la sécurité de notre groupe. Ce dernier repose sur l’huile d’olive, tandis qu’en Tunisie, le rendement des champs d’oliviers n’est pas constant, il est caractérisé par une grande alternance. De ce fait, il en ressort deux problèmes : le premier concerne le prix qui n’est pas constant, et le second consiste dans le fait que nous ne sommes jamais sûrs de pouvoir assurer la même bonne qualité de l’huile d’olive. De ce fait, l’intégration devient essentielle. Nous avons ainsi acheté les terrains, planté les oliviers, et nous faisons une culture en irrigué afin d’éviter l’alternance. Nous sommes donc moins exposés aux aléas du marché ou du climat. Nous sommes devenus des agriculteurs avec un esprit industriel. L’intégration pour nous est une expérience très positive et une stratégie qui donne ses fruits, et nous pouvons même dire que nous avons bouclé le schéma d’investissement en matière d’intégration.
Parlez-nous de votre première expérience d’exportation. Vous avez commencé à vendre l’huile d’olive en vrac avant de passer à celle en bouteille ?
L’huile d’olive conditionnée était un défi. Lorsque l’État a fait libérer quelques secteurs économiques tels que la production de l’huile d’olive, nous nous sommes lancés dans le secteur en 1996 en se procurant une huilerie et très rapidement, nous avons obtenu le statut d’exportateur. Bien entendu, au début, nous exportons comme à peu près tout le monde, de l’huile d’olive en vrac à travers l’action d’un courtier qui fixait également le prix. Nous n’apportons donc pas de valeur ajoutée. Toutefois, en 1999-2000, il y a eu une très grande récolte d’olives qui a fait que les courtiers boycottaient la Tunisie. Ainsi, nous nous sommes retrouvés avec un grand stock d’huile d’olive que nous ne savions pas vendre car nos marchés traditionnels (Italie et Espagne) étaient saturés. Cette situation a engendré des pertes d’argent importantes pour les producteurs et exportateurs d’huile d’olive.
Nous nous sommes rendus compte que nous avons besoin d’être indépendants et de vendre nos produits par nous-mêmes. Nous avons donc, dans un premier temps, cherché à sortir du contrôle de nos acheteurs. Nous avons établi une étude sur le marché américain, car c’est le premier débouché des Italiens et des Espagnols mais aussi, il s’agit du plus grand consommateur d’huile d’olive qui n’en produit pas. De ce fait, nous avons décidé de nous implanter sur place et avons entamé le premier investissement. Cette stratégie était payante ! Nous avons commencé à payer avec des prix plus élevés, puisque nous avons économisé toutes les commissions des courtiers. Dans un deuxième temps, nous nous sommes rendus compte que dans tous les cas de figure, notre huile d’olive ne porte pas notre nom, elle ne s’appelle pas Tunisie ! Nous avons commencé à vendre notre produit en bouteille et en dépit de toutes les difficultés que nous avons rencontrées, en 2010, cette activité a pris son envol.
Donc le premier marché pour l’huile d’olive conditionnée a été le marché américain ?
Ça a été le marché canadien et américain. Et en 2013, nous avons mis la première bouteille dans un supermarché français. Aujourd’hui, nous sommes dans quasiment tous les supermarchés français et nous investissons dans le marché allemand, hollandais et notamment anglais. Ce qui est positif aujourd’hui, c’est que, contrairement à nos débuts, les acheteurs nous cherchent et réclament notre huile d’olive.
Parlez-nous de votre politique d’implantation à l’étranger ?
Notre philosophie est de nous installer à proximité de nos marchés. Car aujourd’hui, aux États-Unis d’Amérique, par exemple, nous nous retrouvons avec un temps de transit de 12 semaines. Il n’existe pas un supermarché qui accepte de sacrifier son fournisseur pour nous attendre entre 10 à 12 semaines afin de recevoir sa marchandise. Aussi, nous nous retrouvons face à une concurrence rude, celle des entreprises italiennes et espagnoles qui sont installées à proximité de leur marché depuis des dizaines d’années. En outre, il faut que le propriétaire de supermarché ait une forte raison qui fait qu’il place notre bouteille d’olive à la place de celle d’un concurrent. Nombreux sont ceux qui ne connaissent pas notre pays et qui le confondent même avec d’autres. Toutefois, nous avons réussi à renverser la vapeur en faisant de ce handicap un point fort.
Nous avons d’abord fait référence aux atouts météorologiques de la Tunisie avec ses 320 jours de soleil par an, un temps semi-aride éliminant l’humidité ce qui est à même de barrer la route aux insectes et par conséquent fait éviter aux agriculteurs l’utilisation des insecticides. Cette donnée réfère directement au caractère bio de nos produits. Nous avons ainsi communiqué sur un pays qui est naturellement biologique et ce, concernant toute son agriculture. Aujourd’hui, nous sommes présents dans 42 pays et nous avons 6 filiales aux Amériques, en Europe, en Asie et en Afrique. En 2020, nous finissons l’année avec 17 mille tonnes de ventes en bouteille.
En février de cette année, vous avez annoncé que votre entreprise utilise désormais la technologie blockchain afin d’assurer la traçabilité de votre huile d’olive. Comment et pourquoi avez-vous eu l’idée de recourir à cette méthodologie ?
Cela a, en quelque sorte, commencé en réaction à des actes entrepris par nos concurrents italiens. En effet, ils avaient diffusé un reportage sur leur chaîne nationale Rai2, où ils montraient une huilerie au fin fond d’un patelin en Tunisie en se focalisant sur la salubrité de l’endroit, indiquant que la qualité de notre huile d’olive altérée par des méthodes de production douteuses en l’absence totale de contrôle des autorités de tutelle. Cela a été un coup dur pour l’image de notre produit et nous avons voulu réagir immédiatement. Nous en avons par la suite subi un deuxième de la part des Français lorsqu’ils ont publié un article dans le magazine “60 millions de consommateurs”, dans lequel, ils dénigrent la qualité de l’huile d’olive tunisienne. Ils nous reprochaient un manque de transparence et de fiabilité.
Et nous faisions face à un lobbying important dans le domaine de l’huile d’olive en France, ce qui rendait notre réaction plus difficile encore. De là, nous avions eu l’idée de lancer un produit sur le marché dont la traçabilité sera impossible à falsifier. Nous avons, à ce titre, conclu un contrat avec le géant IBM afin d’assurer la traçabilité de notre huile d’olive extra vierge Terra Delyssa à travers différents points de contrôle d’assurance qualité et d’informations qui sont stockés chez IBM sur sa plateforme IBM Food Trust. Cela peut paraître un peu complexe pour le consommateur mais il lui suffira de scanner un QR-code présent sur chaque étiquette lui permettant de visualiser une fiche de provenance renfermant toutes les informations qui concernent notre huile d’olive. Cela permet également d’avoir un meilleur aperçu de son parcours ainsi que des points de contrôle de qualité. Lorsqu’un consommateur achète notre huile d’olive, la goûte et connaît tout son parcours, en règle générale, c’est un consommateur que l’on aura recruté pour la vie.
Bien entendu, cela sera possible à condition que nous continuions à respecter les normes de bonne qualité de notre produit notamment au niveau du goût. D’ailleurs, notre huile d’olive est la seule qui est “blockchainée” dans le monde. C’est une reconnaissance extraordinaire et les retombées de cette action ont et sont encore très bonnes. Il s’agit d’une révolution dans le monde de l’huile d’olive.
Avez-vous constaté les retombées de cette action sur votre niveau de vente ?
Absolument ! Nous avons même dépassé nos prévisions et de loin. Nos ventes ont connu une hausse de l’ordre de 40% en partie grâce à la blockchain. À vrai dire, nous avons simplement fait valoir nos atouts et rien de plus. J’aimerai d’ailleurs souligner qu’avec ce système de QR-code, nous avons mis en place des informations à deux niveaux : le premier concerne le consommateur direct et le second s’adresse aux professionnels. Ces derniers ont la possibilité de contrôler les bulletins d’analyse.
Avez-vous connu des difficultés pour mettre en place cette technologie ?
Je dirai même que cela a été très difficile. Il s’agit de toute une organisation qu’il fallait penser et mettre en place. Par exemple, il fallait convaincre les agriculteurs de nous envoyer les informations qui les concernent sur la cueillette des olives. En fait, nous avons convié l’ensemble des intervenants dans l’industrie de l’huile d’olive, nous leur avons montré la mauvaise presse qui a souillé l’huile d’olive tunisienne et leur avons exposé notre solution afin d’y remédier. Nous leur avons expliqué que sans eux et sans leur engagement, nous ne pourrions pas mettre en place cette technologie. Également, nous avons formé ces intervenants en différentes techniques dans le but de produire une huile d’olive de grande qualité. Permettez-moi, par ailleurs, de dire que dès que notre système de blockchain a été mis en place, nos concurrents italiens ont tout de suite pris contact avec IBM afin de suivre nos pas en la matière.
Exploitez-vous la vente en ligne pour votre huile d’olive en bouteille ?
Oui, tout à fait ! Et en ce qui concerne la partie export, nous traitons avec le géant Amazon pour la vente de nos produits.
En regardant tout votre parcours, quelles sont les qualités humaines et de manager qui vous ont aidées à réaliser ces performances ?
En vérité, ce n’est pas moi qui ait réussi mais toute l’équipe. Certes, il y a un leader mais le mérite revient à toute l’équipe. Peut-être que mon apport a été celui de mettre tout le monde sur la même voie de réussite. Tous les membres de l’équipe sont engagés et de la même manière. Nous prenons à cœur de défendre le groupe et ses valeurs.
Et comment avez-vous réussi à implanter cet esprit ?
Avec le temps, essentiellement ! Nous avons commencé à bâtir le groupe pierre par pierre en commençant avec un capital de 150 mille dinars de ressources propres. Nous avons forgé cette force humaine avec le temps au même titre que notre structure industrielle. Il fallait un mouvement d’ensemble équilibré dans tous les sens pour réussir. Notre engagement le plus important demeure celui de la qualité avec une équipe de 20 personnes dédiées à cette composante essentielle.
De toutes les charges que vous assumez, quelle est celle qui vous prend le plus de temps ?
Il faut savoir d’abord comment nous sommes structurés. Nous avons le département commercial qui est partagé en pyramides. Chaque zone a son premier responsable comme c’est le cas pour la zone États-Unis-Canada avec une équipe qui se gère sur place, composée de 45 employés. Nous maintenons une communication fluide qui nous permet de rattraper certaines erreurs d’un marché à l’autre sachant que chacun fonctionne selon un modèle différent. Nous sommes organisés en holding. Cela signifie que ici c’est la plateforme qui fait les analyses nécessaires en fonction desquelles, nous orientons nos choix et prenons nos décisions afin d’aider les filiales à atteindre leurs objectifs. Pour ma part, je contrôle sans outils de contrôle, sans être sur la chaîne de contrôle. Je reçois des reportings au quotidien, je réfléchis à l’avenir du groupe comme l’introduction en bourse, nos stratégies avec nos partenaires, etc.
Justement, l’introduction en bourse, vous y pensez pour quand ?
Nous y avons pensé pour la période passée mais au vu des conditions et de la crise sanitaire, nous avons décidé de la reporter. L’introduction en bourse est une solution pour l’avenir. En ce qui me concerne, je suis ici de passage et d’ailleurs, nous nous comportons ici comme si nous étions déjà une entreprise cotée en bourse. Ce que nous voulons c’est que le groupe poursuit son chemin sans qu’il ne soit dépendant d’une personne en particulier.
Quels sont vos projets futurs ?
D’abord, nous allons commencer par digérer nos derniers investissements. Le projet de blockchain nous a coûté beaucoup aussi bien en termes d’investissement matériel qu’immatériel. Sur le plan industriel, par ailleurs, il n’est pas à l’ordre du jour d’investir dans de nouvelles unités industrielles. En revanche, nous envisageons d’améliorer nos sourcings en agriculture et de manière scientifique.
Que conseillez-vous à des jeunes exportateurs qui veulent améliorer leur action sur les marchés étrangers ?
Il faut cibler le marché et se doter des moyens en rapport avec les ambitions. Cela signifie que si un exportateur veut intégrer le marché américain, il faut étudier quels en sont les besoins. L’huile d’olive est un produit très exportable. Le marché est grand et très ouvert, et aujourd’hui, les marchés étrangers commencent à apprécier l’origine Tunisie, il faut donc en profiter !
Qu’attendez-vous du gouvernement pour aider le secteur à progresser davantage ?
J’attends qu’il apporte plus de soutien aux agriculteurs. Aujourd’hui, par exemple, pour que notre huile d’olive entre sur le marché de l’Union européenne au-delà du contingent, nous devions payer des droits de douane de l’ordre de 1240 euros la tonne. Dans le cadre de l’ALECA, nous souhaitons que ce contingent soit complètement supprimé. Il faut savoir que techniquement, celui qui demande à imputer ce contingent est l’acheteur et non pas le vendeur. En ce qui nous concerne, étant donné qu’on ne nous donne pas un quota suffisant, nous nous retrouvons dans l’obligation d’acheter des quotas en plus auprès d’acheteurs italiens en leur payant la marge bénéficiaire. Toutefois, les autres exportateurs, ceux qui font un ou deux conteneurs, se retrouvent dans une situation compliquée.
Il faut donc impérativement que l’État intervienne. Actuellement, nous avons remis le dossier sur la table de trois ou quatre ministres de l’ancien gouvernement mais rien n’a été fait. Pourtant, il s’agit d’un dossier brûlant qui doit être traité d’urgence. Sans oublier, bien sûr, l’aide que nous attendons afin d’augmenter la quantité de production d’huile d’olive de 200 mille à 350 mille tonnes. Nous avons la possibilité de produire jusqu’à 500 mille tonnes, il suffit que l’État aide les petits agriculteurs. 80% de nos agriculteurs possèdent moins de 5 hectares de terres agricoles et ce sont eux qui ont le plus besoin de l’aide des autorités. Ces dernières peuvent par exemple mettre en place un soutien financier de 2000 dinars par hectare au profit des agriculteurs en leur imposant la condition d’y implanter des oliviers. Quant au financement, il existe déjà, ce sera le secteur qui va s’auto-alimenter.
Un message pour conclure ?
Mon message pour la fin s’adresse à l’État, il se doit d’aider les agriculteurs et de les soutenir. Il y va de tout le développement économique du pays.
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